Ce que doit faire le nouveau président

Conférence d'Agnès Verdier-Molinié directeur de l'iFRAP lors du 8ème Weekend de la Liberté. Transcription par nos soins. Le nouveau quinquennat a commencé, mais tout reste à faire. Depuis l'élection, deux « textes » importants ont été produits : la réforme du Code du travail et la moralisation de la vie publique. Mais le contenu des ordonnances n'est pas aussi riche qu'espéré. Elles vont dans le bon sens, mais sont encore très faibles par rapport à ce qu'il faudrait par exemple pour débloquer la peur de l'embauche dans les TPE et les PME. La réforme du Code du travail Temps de travail Il est bien évident que la réforme du Code du travail ne libérera pas à elle seule l'emploi. Les questions de compétitivité fiscale, de normes et de charge administrative sont tout aussi importantes à traiter. Le gouvernement a choisi de rester dans la logique de François Hollande et de la loi El Khomri, c'est-à-dire de contourner les problèmes. Sur la question du temps de travail, on pourrait souhaiter légitimement la suppression de la référence au 35 heures comme durée légale du travail de manière hebdomadaire et en venir soit à se demander à partir de quelle heure commencent les heures supplémentaires, soit à envisager l'idée d'une annualisation du temps de travail. Le gouvernement a choisi de négocier au niveau de l'entreprise, dans une inversion de la hiérarchie des normes, les conditions de travail et le temps de travail, ce qui va prendre beaucoup de temps puisqu'il faudra négocier au sein de chaque entreprise. Une difficulté supplémentaire : depuis la loi El Khomri, on ne peut passer un accord avec les syndicats que s'ils représentent 50% des salariés (30% auparavant). Pour les entreprises de moins de 20 salariés, la négociation peut se faire en direct, ce qui est mieux que ce que voulaient les syndicats. Pour eux, dans les petites entreprises sans représentation syndicale, il faudrait que des syndicalistes soient parachutés de l'extérieur pour aller négocier avec les patrons. Mais la négociation en direct ne pourra aboutir que si les deux tiers des salariés sont présents en termes de majorité, ce qui est aussi bloquant pour obtenir un accord. Dans le secteur public, les administrations ne sont pas aux 35 heures, mais souvent à moins. Si le gouvernement ne s'attaque pas à la question du temps de travail dans les entreprises, jamais on n'arrivera à le remonter dans les administrations publiques. Licenciement Une redéfinition de la cause réelle et sérieuse du licenciement serait nécessaire. Le gouvernement revient sur l'idée de la barémisation des indemnités de licenciement en cas de licenciement abusif, mais le risque est que la justice condamne toujours au maximum de l'indemnisation. Le barème indicatif de la loi El Khomri était de 24 mois pour 30 ans d'ancienneté. Désormais, on passe à 20 mois pour 30 ans d'ancienneté, ce qui ne change pas grand chose. En ce qui concerne les indemnités classiques, le gouvernement a promis 25% d'augmentation ce qui provoque la fureur des syndicats car ces indemnités sont limitées à 10 ans d'ancienneté. Seuils sociaux et syndicats Sur les seuils sociaux, un report de passage de seuil serait souhaitable, mais le choix s'est plutôt porté sur la fusion CHSCT, CE et délégués du personnel. On ne sait pas si cette mesure va permettre de réduire le nombre de salariés protégés dans une entreprise, le nombre de mandats etc.. Pour le moment cela ne figure pas dans les ordonnances parce que les syndicats ont refusé qu'il y ait quelque chose sur ce sujet dans l'ordonnance elle-même. Un décret devrait trancher, décret sur lequel les organisations syndicales font pression pour qu'il n'y ait pas de perte en termes de nombre de mandats, d'heures de délégation et de nombre de salariés protégés. Actuellement, on dénombre plus de 700 000 milles mandats dans les entreprises en France et près de 600 000 travailleurs protégés. Le but de la fusion est de réduire le nombre d'heures de délégation, le nombre de mandats et le nombre de salariés protégés. La loi El Khomri était allée dans le sens inverse en augmentant le nombre d'heures de délégation. Dans le service public aussi les travailleurs protégés sont nombreux, même si on a du mal à évaluer exactement leur nombre. On pense que c'est plus de 100 000, sans compter les mises à disposition de personnel. Les ordonnances ne reviennent pas non plus sur la question du monopole syndical du premier tour et sur le sujet du financement des syndicats. D'après la loi d'habilitation, dans les ordonnances on devait pouvoir faire une proposition de chèque syndical qui aurait remplacé tout ou partie du financement paritaire. Or, pour le moment, ces questions sont laissées de côté dans les ordonnances. Toute la stratégie du gouvernement a été de menacer de faire passer une loi de moralisation de la vie syndicale si les syndicats s'opposaient trop aux ordonnances. Malheureusement, le gouvernement a lâché beaucoup de choses puisque les branches restent toujours plus importantes en terme de décision que les entreprises. Il faudrait arriver à ce que les syndicats soient un peu plus pro réforme qu'aujourd'hui, au lieu d'être continuellement dans le blocage. Il faudrait aussi supprimer tous les financements publics et les financements paritaires qui arrivent des Caisses primaires d'assurance maladie et de ce qui était la formation professionnelle, désormais taxe prélevée au niveau de la part employeur (elle rapporte plus de cent millions d'euros par an directement aux centrales syndicales). Ces financements sont partagés entre le patronat et les syndicats de salariés. Il faudrait arriver à une remise à plat totale du financement syndical avec cette idée du chèque syndical pour avoir plus de syndiqués. Si les syndicats s'opposent sans cesse aux réformes, c'est d'abord parce qu'ils représentent beaucoup plus la fonction publique que le secteur privé (1 million de syndiqués dans le public, 500 000 dans le privé) et donc ils ne veulent pas toucher au statut, empêchant toute réforme concrète du secteur public. Il faudrait donc plus de syndiqués du secteur privé pour avoir des syndicats plus modérés. Dans la loi de 2008 qui portait sur la rénovation de la démocratie sociale, l'iFRAP avait fait passer une mesure pour que les syndicats soient obligés de déposer leurs comptes. Le problème est que la consolidation totale des comptes n'a pas été obtenue. Il n'y a ni information globale, ni vision globale. Il est compliqué d'avoir le vrai nombre d'adhérents, le vrai nombre de cotisations etc. Idem du côté du patronat. Chacun y trouve son compte pour ne pas bouger les choses. Chômage Lors de la campagne, Emmanuel Macron avait parlé du fait que sur le chômage, il fallait que ce soit l’État qui reprenne la main. Aujourd'hui on ne sait pas s'il va aller au bout de la logique, car cela demande plus d'équité sur la question de qui cotise pour l'assurance chômage. Actuellement par exemple, les salariés du privé cotisent pour les intermittents du spectacle, les intérimaires etc., tandis que les salariés du public ne cotisent pas. Quand le gouvernement annonce une hausse de la CSG pour que le financement de l'assurance chômage soit plus équitable et plus élargi, comme dans le public les agents ne cotisent pas, cette hausse est répercutée sur leur net, en conséquence de quoi il faut leur compenser. Résultat, cela va coûter 2 à 3 milliards d'euros. L'idée de départ était quand même de dire qu'on allait rééquilibrer le financement du chômage entre ceux qui ne payent pas aujourd'hui et ceux qui payent. Mais la réforme ne va s'appliquer qu'à ceux qui vont entrer dans l'emploi public, c'est-à-dire que seuls ceux qui sont déjà en activité vont toucher une compensation totale. En conséquence, il faudra au moins 40 ans pour arriver à faire de réelles économies. Retraites Sur le sujet des retraites, en ne faisant pas converger les modes de calcul en travaillant sur la question de ceux qui sont déjà dans l'emploi public, très peu d'économies seront réalisées. C'est toute la question du niveau d'exigence de la réforme. Son application peut être totalement divergente de ce qui a été annoncé. Par exemple, comment comprendre que dans le projet du gouvernement, il y ait l'idée d'une réforme des retraites systémiques avec l'objectif d'arriver à un système par point, sans qu'il envisage que cette réforme permette des économies ? Ce n'est pas logique. Normalement, avec une convergence des modes de calcul, on arrive à 3 ou 4 milliards d'économies par an, parce que les retraites sont très divergentes entre un agent public et un salarié du privé. L'iFRAP a fait cette évaluation sur un cas concret : pour un professeur du privé sous contrat face à un professeur du public, il y a un écart de 100 à 150 000 euros en termes de retraite en défaveur de l'enseignant du privé sous contrat. On nous annonce donc une réforme systémique sans économies, qui ne prendra effet qu'à partir de 2022 ou 2023. En réalité, ils ne vont sans doute pas pouvoir faire ce qu'ils ont annoncé parce qu'ils vont être confrontés à un problème : les économies annoncées (16 milliards pour 2018), on n'arrive tout simplement pas à les faire. Les seuls facteurs d'économies vraiment importants sur lesquels agir sont les retraites et la masse salariale publique, ensuite les dépenses des collectivités publiques. Sur les retraites, c'est une question de report de l'âge, sur la masse salariale, la réduction du nombre d'agents. Ce qui est inquiétant, avec l'idée que la croissance est meilleure que prévue en 2017 et 2018, est qu'ils ne suppriment que 1600 ou 1800 postes au niveau de l’État, alors que l'objectif était, sur les 120 000 postes, d'en supprimer 50 000. Au niveau des collectivités locales, ils ont annoncé 70 000 suppressions de postes. Il faut mettre en place des ratios de bonne gestion négociés avec les collectivités, ce qui n'est pas le cas actuellement. Sans outil avec des objectifs à atteindre, il est impossible de sortir de la logique actuelle qui est de récompenser les mauvais gestionnaires et de pénaliser les bons, auxquels on conseille d'augmenter la fiscalité. Comment faire pour arriver à attirer des entreprises si on demande sans cesse à augmenter la fiscalité, notamment les taxes foncières et les taxes sur la production ? Ces dernières financent beaucoup les collectivités territoriales. Elles représentent plus de 72 milliards de recette annuelle, soit plus de deux fois l'impôt sur les sociétés (31 milliards). Elles sont bien plus élevées que dans le reste de l'Europe, notamment en Allemagne. Ces taxes empêchent beaucoup la création d'entreprise sur le territoire. Plus il y a de taxation par salarié sur la production, plus il y a de chômage. Au niveau industriel, la France a perdu 1 million d'emplois ces dernières années, pendant que les Allemands consolidaient leur Mittlestand dans leur grosses PME exportatrices, qui sont familiales. Le modèle allemand est performant parce que chaque fois qu'ils votent une loi, ils se posent la question de savoir si ça va favoriser l'emploi ou détruire de l'emploi, favoriser les entreprises ou leur ajouter plus de charges administratives. En 2008, avec la RGPP, l'iFRAP avait créé un outil pour évaluer en temps réel la charge administrative des entreprises. Il n'a jamais été utilisé ; il manquait 10 millions d'euros pour le finaliser, que l’Élysée n'a pas voulu débourser. Pendant ce temps, les Allemands et les Néerlandais ont créé les outils pour le faire et maintenant ils sont en permanence en train d'évaluer la charge administrative pour les entreprises. En Allemagne, elle a baissé de 48 milliards ces dernières années. Petit à petit, ils arrivent à réduire le nombre de normes, le nombre de lois, la réglementation etc. et pendant ce temps, en France, on n'évalue rien. Contrôle de la dépense publique A l'Assemblée nationale, sept groupes de travail ont été mis en place, dont un va travailler expressément sur le contrôle de la dépense publique par le Parlement. Les parlementaires aujourd'hui, quand il leur arrive un texte, sont incapables de faire leur propre évaluation, ils sont obligés de prendre celles de Bercy ou d'un autre ministère. Ils n'ont pas leur propre capacité de chiffrage, ce qui est très dommageable. Les pays anglo-saxons, les pays scandinaves, se sont dotés d'outils pour leur parlement. En France, le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques créé après la réforme constitutionnelle de 2008 est un ersatz de solution. Il n'a produit que 4 rapports par an, ce qui est très faible et il ne s'attaque qu'à des sujets de moindre importance. Sur la moralisation de la vie publique, l'iFRAP avait insisté pour que les indemnités représentatives de frais de mandat soient imposables, parce que l'élu qui vote l'impôt doit le payer de la même manière. Ces indemnités ne sont pas des notes de frais mais un complément de revenus qui fait que les parlementaires ont un pouvoir d'achat supplémentaire. Il vaut mieux avoir moins de parlementaires, mieux indemnisés mais payant l'impôt sur leur véritable pouvoir d'achat. Avec ce qui vient d'être décidé sur les IRFM avec la nouvelle loi, on ne va pas beaucoup sortir de ce système là. La solution choisie n'est pas une véritable réforme de fond, à moins de publier toutes les notes de frais des parlementaires. Il aurait aussi fallu envisager la réduction du nombre d'élus locaux (645 000 élus actuellement). Il en faudrait entre 100 000 et 144 000. Rien qu'en Île-de-France, avec les communes, les intercommunalités, les départements, la région et le Grand Paris, on peut compter 30 000 élus, soit plus que la totalité des élus du Royaume-Uni, même si les élus français sont moins bien indemnisés. Donc il faut indemniser mieux, mais réduire le nombre d'élus. Le nombre de régions a été diminué, mais le nombre d'élus régionaux n'a pas changé, ce qui est ridicule. Comment ensuite expliquer aux agents publics que leur nombre va diminuer, si les élus gardent le même nombre de mandats sans vouloir le réduire ? Il faut que les élus acceptent de réduire leur nombre. Emmanuel Macron et son gouvernement sont bien placés pour faire bouger les choses car ils n'ont pas, pour le moment, une grande implication du mouvement En Marche ! dans les territoires, ils n'ont pas tous ces élus locaux qu'avaient le PS et Les Républicains. Par exemple, sur la réduction des emplois aidés, c'est l'Association des maires de France qui hurle le plus, présidée par François Baroin, qui estime qu'il est scandaleux de vouloir réduire le nombre d'emplois aidés, alors que dans le programme de Les Républicains, cette mesure était présente. Un élu, au niveau national, va dire qu'il faut évidemment réduire la dépense publique, mais à condition qu'on ne touche rien. Le gouvernement doit entreprendre une réforme profonde de notre système, et pas uniquement des coups de rabot tels que les APL par exemple. Est-ce que les départements doivent continuer à être à la manœuvre, alors que les taxes foncières explosent, alors que les décisions sont prises au niveau du gouvernement de rehausser les dépenses et que les départements derrière n'arrivent pas à financer ? L'iFRAP a donc proposé de renationaliser toutes ces questions d'aides sociales : si c'est le gouvernement qui décide de dépenser, il faut que ce soit lui qui soit là pour financer et qu'il prenne ses responsabilités en termes de transparence. À l'intérieur de notre système, il y a des caisses qui sont en totale auto-gestion et qui ne donnent aucune information sur leur gestion. Sur les Caisses primaires d'Assurance maladie, l'iFRAP a récupéré les bilans sociaux mais ne les a toujours pas publiés tellement on arrive à des nombres de jours d'absence élevés. Les chiffres sont « dingues » parce qu'il n'y a jamais eu aucun contrôle. Une vérification est donc en cours auprès des caisses pour savoir si les chiffres sont bons. Idem pour avoir des informations sur les opérateurs de l’État : pour avoir les comptes, les bilans etc., il faut beaucoup insister. Est-ce que ce gouvernement va être prêt à faire la lumière sur toutes ces données publiques ? Est-ce qu'il va être prêt à transformer véritablement ? L’éducation est aussi à prendre en compte. Le ministre Jean-Michel Blanquer est assez courageux quand il dit qu'il faut copier dans le public ce qui fonctionne dans le privé. Il faut permettre de faire sauter la règle du 80/20 qui veut qu'il n'y ait que 20% des élèves d'une classe d'âge qui soit scolarisés dans le privé sous contrat. Il faudrait aussi permettre de gérer l'éducation au niveau local. Il n'y a aucune raison de garder 1 million d'agents gérés au niveau central comme on le fait aujourd'hui. En 5 ans, il n'est pas possible de mener l'ensemble des réformes qu'il faut pour la France, ce qui prendrait au moins 10 ans. Pour le moment, ce qui est entrepris n'est pas assez ambitieux. On peut déplorer qu'il n'y ait pas d'objectifs véritablement chiffrés. Des choses intéressantes sont faites, comme la loi de confiance. Il faut aider ceux qui ont envie de faire des réformes. Cette période est très intéressante : ça n'ira sans doute pas aussi loin que ce qu'on souhaiterait, mais en tout cas ce n'est pas du Mélenchon. Regardez la vidéo de la conférence



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