CONCENTRATION ET REDISTRIBUTION DES RICHESSES

CONCENTRATION ET REDISTRIBUTION DES RICHESSES

CONCENTRATION ET REDISTRIBUTION
DES RICHESSES


 

Thierry Foucart


 

Résumé

Tout modèle mathématique est fondé sur des contraintes scientifiques qu’il faut connaître et respecter pour éviter des conclusions hâtives et des certitudes illusoires.

La concentration des richesses est un exemple type de cette difficulté : les enjeux de la politique de redistribution des richesses expliquent l’utilisation parfois abusive des paramètres mathématiques qui la caractérisent et dont les faibles propriétés limitent l’interprétation. Un modèle simple de réduction des inégalités fondé sur l’analyse des rapports interquintiles des niveaux de vie donne cependant des informations claires pour en comprendre le mécanisme et permet d’envisager une autre politique sociale consistant à remplacer l’objectif d’égalité réelle par l’incitation au travail.

 

CONCENTRATION AND REDISTRIBUTION
OF WEALTH

Abstract

Any mathematical model is based on scientific constraints that must be known and respected to avoid illusory certainties. It is insufficient on its own to guarantee the scientific nature of interpretations of its results.

The concentration of wealth is a typical example of this difficulty: the political, economic and social stakes of redistributive policies, which are supposed to promote growth and social justice, explain the sometimes-abusive use of the parameters that characterize it. These parameters depend on the demographic, political and cultural characteristics of the population, and their mathematical properties are hardly known. Great differences between countries, for example China, India and USA, make impossible to compare their concentration of wealth. The Gini coefficient and decile ratios can be explained by migration policies or age structure. We give an example of Lorenz concentration curves that are very different but with the same Gini coefficient and the same decile ratios.

A simple model for reducing inequalities based on the analysis of quintile ratios of living standards, however, provides clear information for understanding the mechanism and makes it possible to envisage an alternative social policy replacing the objective of equality with incentives to work.

 

Mots-clés : recherche, arrangements institutionnels, sciences humaines et sociales, concentration, redistribution, fiscalité.

Keywords: research, institutional arrangements, humanities and social sciences, concentration, redistributive policy, tax system.

MESURE DE LA CONCENTRATION

La concentration est un concept financier imaginé initialement pour caractériser la répartition des soldes bancaires dans les banques, des salaires dans une entreprise ou des ventes dans un hypermarché, … Elle donne une information généralement pertinente. Si, par exemple, 20 % des comptes bancaires d’une banque représentent 80 % des dépôts, cela montre que la banque dépend beaucoup des gros clients. C’est la règle classique de Pareto.

Dans ce paragraphe, nous utilisons une série de 50 observations obtenues par simulation en les considérant comme des salaires d’une même entreprise.

Quantiles et rapports interquantiles

L’information obtenue précédemment par la règle de Pareto n’est guère détaillée. La comparaison des grandes valeurs aux petites est particulièrement recherchée dans le cas des salaires, des ventes, … Pour cela, on utilise les rapports interquantiles que l’on calcule en ordonnant les données suivant leurs valeurs croissantes. On définit le 1er décile par les 10 % salaires les plus faibles, le 2e par les 10 % suivants, etc. jusqu’au 10e. On définit de la même façon les quintiles (20 %), les quartiles (25 %), les centiles (1 %), les millimes (0,1 %)…

Le rapport interdécile est le rapport d10 / d1, où d1 et d10 sont les sommes des salaires du premier et du dernier déciles, et le rapport interquintile q5 / q1, où q1 est la somme des 20 % plus faibles salaires et q5 la somme des 20 % les plus élevés. Ce sont aussi les rapports des moyennes puisque les effectifs de chaque décile (10 %) et de chaque quintile (20 %) sont égaux.

Ces rapports calculés sur les 50 données considérées sont les suivants :

d10 / d1= 11,02 q5 / q1= 6,87

Le rapport interdécile est toujours supérieur au rapport interquintile puisque les 10 % plus hauts salaires sont toujours plus élevés en moyenne que les 20 %, et que les 10 % les plus faibles toujours plus petits en moyenne que les 20 %. C’est une propriété générale : plus le pourcentage considéré est faible, plus le rapport est élevé.

Pour simplifier les calculs, ou lorsqu’on ne dispose que de données classées, on peut caractériser les déciles par leurs valeurs maximales notées d1’, …, d10’, évidemment supérieures à leurs moyennes. On pourrait aussi les caractériser par leurs valeurs médianes ou centrales. Dans certains cas, l’Insee caractérise la concentration par le rapport d9’ / d1’. Cela revient à définir le premier décile par sa valeur maximale et le dixième décile par sa valeur minimale, égale à la valeur maximale du neuvième. L’objectif est de ne pas tenir compte des valeurs observées lorsqu’elles sont complètement hors norme ou très instables (la fortune d’Elon Musk est passée de 340 milliards de dollars à 137 milliards en l’espace d’un an !). La conséquence est un rapport d9’ / d1’ plus faible que le rapport interdécile d10’ / d1’ et que le rapport classique d10 / d1, mais jugé souvent par les statisticiens de l’Insee plus représentatif.

Le calcul sur les 50 données donne les résultats suivants :

d10 / d1 = 11,02 d9’ / d1’ = 6,51 d10’ / d1’ = 9,99

Les différences sont importantes. On ne peut comparer que des rapports calculés de la même façon, mais le mode de calcul n’est pas toujours précisé.

Coefficient de concentration de Gini

L’économiste américain Max Lorenz a défini en 1905 une courbe représentant la part des x % observations classées par valeurs croissantes dans leur somme totale, pour x variant de 0 % à 100 %. C’est une généralisation de la règle de Pareto.

La figure 1 ci-dessous représente la courbe de Lorenz sur les 50 données considérées. L‘axe des abscisses représente les pourcentages d’observations classées par valeurs croissantes, et l’axe des ordonnées le rapport de la somme des observations pour chaque pourcentage x % à la somme totale. Le calcul est effectué ici sur les données individuelles.


 

Figure 1 : courbe de concentration (50 valeurs)


 

On lit sur la figure 1 que la somme des 40 % observations les plus faibles représente environ 18 % de la somme totale. Celle des 75 % est égale à 50 % de la somme, et celle des 90 % à 75 %, ce qui signifie que la somme des 10 % des salaires les plus élevées est égale à 25 % de la somme totale.

La diagonale du carré est la courbe de concentration lorsque toutes les valeurs sont égales : c’est l’équirépartition. La concentration est minimale. Les bords du demi-carré inférieur forment la courbe de concentration lorsque toutes les valeurs sont nulles sauf une. La concentration est maximale.

Toute courbe de concentration se situe entre les deux précédentes, puisque, les données étant classées par valeurs croissantes, le pourcentage en ordonnée est toujours inférieur ou égal au pourcentage en abscisse. La somme des x % salaires augmentant de plus en plus vite en fonction de x %, le creux de la courbe est toujours orienté vers le haut (la courbe est convexe).

Gini propose de mesurer la concentration par l’aire de la zone grisée sur la figure 1, entre la diagonale du carré et la courbe de concentration. Cette aire varie de 0 (en cas d’équirépartition) à 0,5 (concentration maximale). Les statisticiens préférant les indices variant de 0 à 1, le coefficient de concentration g est défini par le double de cette aire : il est égal ici à 0,348.

Propriétés mathématiques de la concentration

  • Rapports interquantiles

L’interprétation des rapports interquantiles est confrontée à plusieurs difficultés :

- Le choix du quantile considéré (quintiles, déciles, centiles, millimes etc.) dépend du nombre d’observations. L’Insee considère parfois les dix millimes (0,01 %) ou même les cent millimes (0,001 %) sur les très grands échantillons.

- Il n’existe aucune règle pour fixer une valeur au-delà de laquelle un rapport interquantile est particulièrement grand ou montre une injustice sociale.

- Les rapports interquantiles restent constants si les moyennes dans chaque quantile sont multipliées par un même facteur. Ils sont indépendants de la devise (euro, dollar, etc.) dans laquelle les richesses sont exprimées.

- Ils sont plus sensibles aux variations du dénominateur (les faibles valeurs) que du numérateur (les fortes valeurs).

- Si on ajoute un terme constant positif à toutes les valeurs, les rapports interquantiles diminuent. Si on ajoute 30 par exemple aux 50 observations considérées précédemment, le rapport interdécile est égal à 8,03 au lieu de 11,02. Inversement, si on soustrait 30 à toutes les valeurs, le rapport interdécile augmente fortement : 18,44.

- Par suite, le rapport interdécile a tendance à être élevé dans les pays pauvres, dont les bas revenus (décile d1) sont très faibles, et faible dans les pays riches dont les bas revenus sont plus élevés.

- L’arrivée dans les pays riches d’immigrés pauvres et peu formés diminue les salaires du 1er décile, et l’allongement de la vie augmente les patrimoines élevés du 10e décile. Ces deux facteurs ont tendance à augmenter les rapports interdéciles et montrent l’impact de la démographie et de l’immigration sur la concentration des richesses.

  • Coefficient de Gini et courbe de Lorenz

Le coefficient de Gini présente l’avantage de tenir compte de l’ensemble des observations et non d’une faible proportion comme dans le cas d’un rapport interquantile. Il possède les mêmes propriétés mathématiques que les rapports interquantiles :

- Le coefficient de Gini est invariable lorsque les valeurs sont multipliées par un facteur constant.

- Il varie comme les rapports interquantiles lorsque l’on ajoute une constante aux données : initialement égal à 0,348 sur les 50 données considérées, il est égal à 0,318 et à 0,384 suivant qu’on ajoute ou soustrait 30 de toutes les valeurs et dépend donc comme le rapport interdécile, des caractéristiques démographiques et migratoires de la population.

- Comme dans le cas des rapports interquantiles, il n’existe aucune règle pour fixer une valeur maximale du coefficient de Gini que l’on pourrait considérer comme « acceptable ».

Les courbes de concentration de deux séries d’observations peuvent être différentes pour un même coefficient de Gini. La figure 2 ci-dessous représente deux courbes de concentration OAC et OBC de deux séries constituées chacune de deux valeurs constantes avec des proportions différentes :

- OAC : 1 / 2 pour 40 % des valeurs, 4 / 3 dans une proportion de 60 % ;

- OBC : 3 / 4 pour 80 % des valeurs, 2 dans une proportion de 20 % ;

Elles sont symétriques par construction par rapport à la deuxième diagonale IJ. Les triangles OAC et OBC ont donc la même aire et les coefficients de Gini sont égaux, ici à 0,2. Les rapports interdéciles sont égaux puisque les valeurs sont permutées et inversées.

Le coefficient de Gini des concentrations caractérisées par un triangle dont le sommet A’ appartient à la droite AB est égal aussi à 0,2 puisque la hauteur du triangle OA’C relative à la base OC est constante et égale à celle de OAC.

On peut généraliser cette propriété en considérant, au lieu des triangles OAC et OBC, des trapèzes de la forme OABC dont la base AB et la hauteur sont de longueur constante. Les deux trapèzes OABC et OA’B’C (figure 2) sont de même aire et définissent deux courbes de concentration différentes ayant un même coefficient de Gini, quel que soit le se segment A’B’ de longueur AB et porté par la droite AB.

Figure 2 : deux courbes de concentration OAC et OBC
de même coefficient de Gini g = 0,20

Les rapports interdéciles sont les suivants :

 

OA’C

OAC

OBC

d10 / d1

6,333

2,667

2,667

Tableau 1 : Rapports interdéciles
pour un même coefficient de Gini g = 0,20

CONCENTRATION DES RICHESSES

Analyser la concentration des patrimoines et des richesses impose de définir préalablement ce qui en fait partie.

Patrimoine et richesse.

La définition suivante (Philippe Madinier et Jean-Jacques Malpot, 1979, pp 77-93) est devenue classique : « parmi les diverses définitions concevables du patrimoine, cette étude en retient une relativement étroite, celle qui correspond en principe à l'assiette de l'impôt sur les successions et qui serait probablement aussi celle d'un éventuel impôt sur la fortune : en ce sens, le patrimoine d'une personne est constitué par l'ensemble des éléments aliénables et transmissibles qui sont sa propriété à un instant donné. »

  • Selon cette définition, le patrimoine dépend complètement du régime successoral en vigueur dans le pays de son détenteur, Son estimation est en général brute d’impôts, de taxes et de droits, ce qui induit des différences considérables entre les patrimoines nets dans des pays même culturellement proches, mais de fiscalités différentes.

  • La valeur des biens dépend de leur localisation. En France, le prix de la terre agricole est de l’ordre de 8 000 € l’hectare ; en Belgique, de l’ordre de 40 000 €, en Flandre de 60 000 €. Il y a donc une forte hétérogénéité du patrimoine foncier dans les pays de l’Union européenne.

  • Le prix d’un terrain en France dépend de la règlementation locale : le changement de destination d’un terrain agricole en terrain constructible, peut le multiplier par 100, et inversement. C’est devenu fréquent ces dernières années par suite du manque de terrains constructibles, des lois de protection de la nature et des plans locaux d’urbanisme revus régulièrement par les collectivités territoriales. Il arrive qu’en l’espace de quelques années, l’estimation d’un patrimoine foncier soit complètement changé plusieurs fois.

  • Dans un système de retraite par capitalisation, c’est le patrimoine individuel qui finance la pension. Dans un système par répartition, ce sont les actifs. Il serait logique de rétablir une équivalence entre les deux systèmes en intégrant au patrimoine le capital correspondant à la rente viagère versée dans un système de retraite par répartition. .

D’une façon générale, les patrimoines d’un même pays mais à des époques éloignées l’une de l’autre ou dans des pays de fiscalités et de cultures différentes ne sont donc pas comparables. Une harmonisation consistant à établir une définition commune est nécessaire pour les comparer, mais impossible lorsque les différences démographiques, culturelles et économiques sont très importantes.

C’est surtout la concentration des revenus qui présente un intérêt pour les économistes et chercheurs. Ces revenus ne sont pas, pour les mêmes raisons que la concentration des patrimoines, comparables dans tous les pays. En particulier, les services publics gratuits ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre, même en Europe. Les statistiques de l’Union européenne tiennent compte des particularités des politiques sociales de chaque pays membre et sont suffisamment normalisées pour permettre des comparaisons :

  • Le revenu disponible comprend les revenus d’activité nets des cotisations sociales, les indemnités de chômage, les retraites et pensions, les revenus du patrimoine (fonciers et financiers) et les autres prestations sociales perçues, nets des impôts directs. Ces derniers incluent l’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation, la contribution sociale généralisée – CSG –, contribution à la réduction de la dette sociale – CRDS – et les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine.

  • Le nombre d’unités de consommation (UC) est calculé en attribuant 1 UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans.

  • Le niveau de vie est le rapport entre le revenu disponible et le nombre d’unités de consommation. Il est calculé « après redistribution ».

Quelques usages de la concentration

L’extension du champ d’application de la concentration aux notions de patrimoine et de richesse semble donner des réponses à des questions légitimes sur leur répartition. Le risque d’une utilisation erronée ou abusive est élevé, du fait de la faiblesse des propriétés mathématiques des coefficients qui le mesurent.

  • Données non homogènes : une étude de France Stratégie (Julien Rousselon et Mathilde Viennot, 2020) donne un exemple précis de l’erreur résultant de la comparaison de données non homogènes : « Le débat économique est émaillé d’allusions à un niveau élevé des inégalités avant redistribution en France […]. Cette organisation {l’OCDE] publie en effet un indicateur d’inégalités de marché (market income) pour lequel la France apparaît particulièrement inégalitaire. […] Cet indicateur présente toutefois une difficulté importante pour un exercice de comparaison internationale, puisque les revenus considérés excluent les retraites publiques, mais incluent les retraites privées obligatoires, ce qui fausse la comparabilité entre pays ayant fait des choix de système de retraite distincts. […]. Cela peut aussi introduire un biais lié aux différences de pyramides des âges. »

Les auteurs de la note de France Stratégie ont aussi mesuré la contribution d’une mesure sociale à la concentration en observant la variation du coefficient de Gini suivant qu’elle est appliquée ou non. C’est une démarche particulièrement efficace parce que les calculs sont effectués sur des données ne différant que par la prise en compte ou non de la mesure sociale considérée.

  • « Utilité » du concept de concentration : après avoir donné l’exemple de deux courbes de Lorentz ayant le même indice de Gini, l’encyclopédie Wikipedia1 cite le classement des pays du monde entier publié dans le World Factbook de la CIA, suivant la valeur de ce coefficient. Thomas Piketty (2013) abuse du calcul statistique en comparant la concentration des richesses entre des pays très différents et à des époques distantes parfois de plusieurs centaines d’années. Le coefficient de Gini est aussi référencé par les organismes internationaux comme l’OCDE. C’est « l’effet Pareto » : « on peut croire à une théorie non seulement parce qu’elle est vraie, mais aussi parce que, sans être vraie, elle est “utile”. Les raisonnements fallacieux et les confusions de catégories que je [Raymond Boudon] viens d’évoquer ne fonctionnent en réalité que parce qu’ils sont socialement ou politiquement utiles » (Raymond Boudon, 2006, p. 48-49).

  • Compte tenu de l’utilisation du coefficient de Gini par des auteurs de grande notoriété et des organismes officiels, il n’est pas étonnant que cela débouche sur des usages abusifs de la concentration. On lit régulièrement dans de nombreux journaux que plus de la moitié des richesses mondiales appartiennent à 1 % de la population. C’est évidemment choquant, paraît complètement injuste, mais cela ne veut rien dire. Les richesses, qui sont des biens immobiliers, des entreprises, des voitures, des œuvres d’art … sont complètement hétérogènes dans le monde. Les cultures et les pyramides des âges sont aussi très différentes d’un pays à l’autre. La réduction des inégalités dans le monde est une utopie qui ne tient pas compte de l’hétérogénéité des civilisations et qui revient à confondre une vache sacrée en Inde et une vache laitière en France.

En outre, l’association Oxfam, habituée à cette manipulation idéologique, n’indique pas le pourcentage des richesses produites par ces 1 % (qui sont 80 millions environ). Cela revient à considérer que le patrimoine et le revenu de quelqu’un ne dépendent pas de ce qu’il produit lui-même. Ces quatre-vingt millions de personnes produisent ces richesses dont tout le monde profite : 75 % de la population mondiale possède paraît-il un téléphone mobile inventé par les 1 %. Oxfam laisser entendre au contraire que la richesse des 1 % vient de la spoliation des autres. Les bons sentiments empêchent l’esprit critique.

Réduction des inégalités en Europe

Si les comparaisons internationales des concentrations de richesses n’ont pas toujours de sens, nous pouvons supposer cependant que la notion de richesse est la même dans les pays de l’Union européenne et que l’on peut comparer, après l’homogénéisation des données précisée précédemment, et avec une même méthode de calcul, les coefficients de concentration des revenus, des niveaux de vie et leur évolution au cours des dernières années..

La réduction des inégalités est obtenue par une politique de redistribution des richesses consistant à prélever une part des revenus des uns pour augmenter ceux des autres.

Pour mesurer la concentration des richesses, l’Insee a choisi comme critère le rapport interquintile q5 / q1 des niveaux de vie (voir fig. 3 ci-dessous).

On observe des variations importantes de ce rapport en Espagne : hausse des inégalités de 2002 à 2014, baisse jusqu’à 2019, ce qui montre un changement de politique. En Allemagne, ce rapport passe de 4,8 en 2018 à 6,5 en 2019. Cela mériterait une explication. Parmi les six pays de l’Union européenne considérés, la France est celui où la concentration des niveaux de vie est la plus stable de 2004 à 2019 et souvent la plus faible, avec la Suède.

Figure 3 : Évolution des rapports interquintiles des niveaux de vie
dans six pays européens et en zone euro de 2004 à 2019 après redistribution
(Source : Insee)

La comparaison de ces rapports est très difficile parce qu’ils dépendent des caractéristiques démographiques de chaque pays, en particulier de la pyramide des âges et du nombre d’enfants par foyer, et de la politique d’immigration en provenance des pays pauvres qui, en diminuant le revenu disponible du premier décile, augmente mécaniquement le rapport interquintile avant redistribution. On peut penser que ce dernier point est une explication de la concentration des revenus en Suède,

Tous ces facteurs entrent en jeu dans la concentration des richesses et empêchent toute explication uniquement fondée sur les politiques sociales. Ces dernières sont nécessairement adaptées aux caractéristiques démographiques.

Il n’y a pas, selon l’Insee, d’augmentation des inégalités de niveaux de vie en France sur cette période, contrairement à ce que l’on entend fréquemment.

POLITIQUE DE REDISTRIBUTION EN FRANCE.

Il s’agit maintenant de comparer les rapports interquintiles avant et après redistribution. Ne disposant pas de ces rapports pour les autres pays de l’Union européenne, nous avons analysé le cas de la France, en nous aidant d’un modèle mathématique très simple de la redistribution des richesses. .

Modèle et taux de prélèvement

La politique de réduction des inégalités consiste à prélever des richesses sur les uns et à les redistribuer aux autres. La figure 4 représente les rapports interquintiles avant et après la redistribution des richesses en France, de 1996 à 2019.

Figure 4 : variation des rapports interquintiles des niveaux de vie en France
avant et après redistribution des richesses.
(Source : Insee)

Le rapport interquintile après redistribution est resté beaucoup plus stable de 1996 à 2019 que le rapport avant redistribution, qui augmente à partir de 2008 jusqu’en 2019, avec une diminution nette en 2013 et en 2019. On peut peut-être y voir les conséquences des crises économiques et financières de 2008 et 2011.

Ces rapports mettent en relation le premier et le dernier quintile de revenus avant et après redistribution.

Le modèle proposé ci-dessous se limite à expliciter cette relation et à en extraire des principes généraux. Il comporte quatre paramètres :

- le revenu minimum à partir duquel un prélèvement est effectué.

- le taux de ce prélèvement.

- le revenu maximum en dessous duquel la redistribution l’augmente.

- le taux de l’augmentation.

Le prélèvement x nécessaire au financement de la redistribution est donc effectué sur les 20 % ménages les plus riches et versé aux 20 % ménages les plus pauvres :

- Le total des niveaux de vie du 5e quintile passe de q5 à q5 - x

- Le total des niveaux de vie du 1er quintile passe de q1 à q1 + x.

Pour 2017, on a donc :

q5 / q1 = 8,60 (q5 – x ) / (q1 + x) = 4,32

On en déduit que le prélèvement nécessaire sur le 5e quintile pour que le rapport interquintile passe de 8,60 à 4,32, est de 9,35 %. Il augmente les niveaux de vie du 1er quintile de 80 %.

Évolution du taux de prélèvement

Nous avons calculé ce taux pour chaque année de 1996 à 2019 (Fig. 5) :

Figure 5 : taux de prélèvement sur le 5e quintile
de 1996 à 2019

La baisse du taux de 1998 à 2008 (figure 5) correspond à une augmentation rapide des revenus du 1er décile avant redistribution par rapport au 9e (voir fig. 6 ci-dessous ; elle représente l’évolution des déciles d1 et d9, faute de connaître les quintiles).

Inversement, la hausse de ce taux de 2008 à 2016, avec un rapport interquintile après redistribution quasiment constant montre que l’écart entre les niveaux de vie avant redistribution a augmenté : on observe effectivement sur la figure 6 une légère augmentation du niveau de vie du 9e décile et une baisse plus importante de celui du 1er.

Figure 6 : déciles d1 et d9 de niveaux de vie avant redistribution
base 100 en 2008 ; source : Insee

On retrouve depuis 2016 la première situation : l’accroissement du niveau de vie du 1er quintile avant redistribution est supérieur à celui de 5e. Le taux de prélèvement diminue et augmente par suite le niveau de vie du 5e quintile après redistribution.

Limites de l’interprétation

La réalité est évidemment beaucoup plus compliquée : les quatre derniers quintiles sont concernés par le financement de la redistribution, et tous bénéficient de la redistribution à des degrés divers, par la branche famille de la sécurité sociale par exemple.

Le modèle précédent est construit sur les résultats de la politique de réduction des inégalités mais les données analysées ne tiennent pas compte de la totalité de la redistribution. Par exemple, les primes à l’achat d’une voiture électrique, d’une pompe à chaleur, d’un poêle, les déductions fiscales pour un changement de chaudière, souvent accordées sous conditions de ressources, ne sont pas comptabilisées dans la redistribution. Les services publics gratuits (éducation police, armée…) sont financés par l’impôt progressif sur le revenu. Les assurances sociales participent de facto à la redistribution, en prélevant des cotisations proportionnelles au revenu mais en finançant les mêmes prestations pour tout le monde, les taux de certains prélèvements sociaux dépendent du montant des ressources…

Rousselon et Viennot (2015) ont analysé de façon plus précise les niveaux de vie de 2017 en considérant les déciles de niveaux de vie, tenant compte de tous les avantages sociaux reçus et de tous les impôts et taxes payés. Ils n’ont pu évidemment tenir compte toutes les mesures évoquées ci-dessus. L’augmentation du revenu primaire du 1er décile par unité de consommation résultant de la redistribution est très importante, de 112 % et de 15 % sur le revenu primaire du 2e,. Elle est compatible avec le résultat que nous avons obtenu ci-dessus (80 % sur le 1er quintile constitué des deux premiers déciles).

INCITATION AU TRAVAIL ET ÉGALITÉ DES RICHESSES

Pour Adam Smith (1759, p. 273), « l’homme systématique croit qu’on peut disposer des différentes parties du corps social aussi librement que des pièces d’un jeu d’échecs : il oublie que les pièces d’un jeu d’échecs n’ont d’autres principes de mouvement que la main qui les déplace, et que, dans le grand jeu des sociétés humaines, chaque partie a un principe de mouvement qui lui est propre, et qui est absolument différent de celui dont le législateur fait choix pour le lui imprimer : quand ces deux principes coïncident et ont la même direction, le jeu de la machine sociale est facile, harmonieux et prospère ; s'ils sont opposés l’un à l’autre, ce jeu est discordant et funeste, et la machine sociale est bientôt dans un désordre absolu. »

Il ressort du paragraphe précédent que cette incompatibilité n’est pas inéluctable : de 1996 à 2008, puis à partir de 2017, l’augmentation des revenus avant redistribution du 1er quintile diminue en effet le taux de prélèvement nécessaire pour conserver le même rapport des revenus après redistribution. Cette augmentation ne peut provenir que d’une meilleure rémunération du travail ou d’une diminution du chômage, ou des deux.

Justice sociale

La redistribution des richesses est le principe de mouvement choisi par le législateur et s’oppose de toute évidence au principe de mouvement de ceux qui la financent.

En réduisant autoritairement les inégalités, l'État définit ce qui est socialement juste ou non, et cela ne l’est pas au plan individuel puisque cette réduction est obtenue par un prélèvement sur des richesses acquises par des moyens légaux. Les réactions d'opposition sont toujours minoritaires puisque le prélèvement ne concerne que le dernier quintile dans le modèle proposé (40 % des foyers).

Suivant Boudon (2006, p. 221-253) et Hayek (1967, p. 261-293), les milieux intellectuels (enseignants, religieux, chercheurs, journalistes, fonctionnaires, syndicalistes…) sont restés sous l’influence du scientisme du xixe siècle, particulièrement en France. Ils défendent le principe d’égalité réelle et exercent une pression morale sur les gouvernements et l’opinion publique en argumentant par la bienveillance, la solidarité, l’empathie, c’est-à-dire par les “bons sentiments”. C’est une posture idéologique qui n’est pas partagée par tout le monde, ni par une majorité de la population suivant Boudon.

En définissant la justice sociale par des sentiments, on la prive de rationalité : « Le dévouement à la justice sociale est devenu en fait le principal exutoire pour l’émotion morale, l’attribut distinctif de l’homme de cœur, le signe reconnaissable que l’on a une conscience morale » (Hayek, 1973, p. 453). Adoptée par de nombreux élus, elle est devenue un objectif d’intérêt général auquel le conseil constitutionnel et le conseil d’État accordent la priorité sur les droits constitutionnels (Merland, 2004).

Hayek (1973, p. 456) explique que « [les peuples] ont remis aux mains de leurs gouvernements des pouvoirs que les dirigeants ne peuvent maintenant refuser d’employer, pour satisfaire les revendications d’une foule toujours accrue d’intérêts particuliers qui ont appris à se servir du “sésame ouvre-toi” de la justice sociale ». Il est donc impossible d’abandonner le concept de justice sociale, trop imprégné dans la mentalité de la population, même s’il n’est pas rationnel.

Pour éviter l’opposition entre les deux principes de mouvement évoqués par Smith, le législateur doit définir une politique de façon que chacun ait des conséquences positives sur l’autre tout en conservant l’idéal de justice sociale. Une solution consiste à orienter la politique sociale non dans l’objectif de réduction des inégalités des richesses assurée par un prélèvement, mais dans celui de l’accroissement des richesses du 1er quintile par le plein emploi, la hausse des compétences, l’augmentation de la productivité, du temps de travail, de façon à mieux rémunérer le travail dans le premier quintile de revenus. C’est indirectement bénéfique pour le 5e qui voit baisser son taux de prélèvement, et pour toute la population puisque la richesse totale est augmentée. C’est ce qui s’est produit en 2016, quand les revenus avant redistribution du 1er quintile ont recommencé à augmenter à la suite de la baisse du chômage à partir de 2016.

Désincitations au travail

Le premier risque principal créé par la redistribution est la désincitation au travail, c’est-à-dire à la production. Elle est caractérisée par les relations entre les revenus du travail, les aides sociales et familiales, la fiscalité, et concerne à la fois les faibles et les forts revenus.

  • Les aides sociales et familiales suivent des règles très complexes. Si celles de l’État sont réglementées et donc connues, celles qui dépendent des collectivités territoriales ne sont guère documentées, varient fortement d’une collectivité à une autre, et peuvent créer des doublons dans l’attribution de l’aide sociale.

  • Les assurances sociales participent à l’aide sociale dans une proportion impossible à évaluer et l’existence de ces deux systèmes sociaux créent des confusions préjudiciables à l’acceptation de la redistribution et à son efficacité.

  • Pour atteindre l’objectif d’égalité réelle, la législation prévoit une hausse administrative du SMIC supérieure ou égale à celle de l’indice des prix. Cette mesure n’accroît pas la production des richesses du 1er quintile et tasse les rémunérations.

  • La proportionnalité des prélèvements sociaux au revenu total, et la progressivité de l’impôt sur le revenu n’encouragent pas à augmenter son revenu par le travail, mais par la redistribution.

  • Les avantages fiscaux sont plus intéressants pour les contribuables du 5e quintile que l’augmentation du revenu issu du travail.

  • L’indemnisation du chômage peut avoir des effets négatifs sur la volonté de reprise du travail, suivant la situation individuelle. Un chômeur proche de la retraite préférera le chômage à un autre emploi, un salarié hésitera à accepter un emploi qui l’obligerait à déménager…

  • Une conséquence des réglementations de l’aide sociale est la création d’un effet de seuil lorsqu’un ménage devient imposable. Le fait d’être imposé après une hausse de salaire fait perdre des avantages sociaux et parfois diminuer le revenu disponible.

  • Il existe aussi un effet de seuil très important dans la fiscalité de l’impôt sur le revenu. Supposons que le revenu d’un médecin passe de 70 000 € en 2024 à 120 000 € en 2025 (+ 71 %). : l’impôt augmente de 134 % (tableau 5 ci-dessous). Cela concerne toutes les professions libérales. Ce n’est guère encourageant et incite plutôt à la réduction du temps de travail.

  • Le travail non déclaré permet au travailleur de ne payer ni les impôts ni les cotisations salariales, et de conserver les droits sociaux accordés en fonction de sa situation déclarée : c’est la « double peine » pour l’État. Cela s’explique par la proportionnalité des cotisations et assurances sociales au revenu déclaré pour des prestation identiques pour tous et par l’impôt prélevé sur tout revenu. La complexité des formalités administratives joue aussi en faveur du travail non déclaré.

  • Enfin, un dernier paramètre à considérer est le coût financier de la redistribution. En 2018, les dépenses sociales représentent 31 % du PIB. Les frais de gestion donnés par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) s’élèvent à 6 %2. Ils représentent donc environ 1,8 % du PIB pour un déficit budgétaire de 2,5 % du PIB en 2018. La redistribution est une mesure sociale dont la mise en œuvre coûte très cher.

Incitation au travail

Il existe déjà de nombreuses mesures d’incitation au travail, la plus connue concernant les heures supplémentaires exonérées de l'impôt sur le revenu dans une limite de 7 500 € par an et des cotisations salariales d'assurance vieillesse de base et complémentaire dans la limite de 11,31 % du salaire.

Le dernier point évoqué dans le paragraphe précédent montre la nécessité de réduire le coût financier de la redistribution.

  • Les deux premiers facteurs de désincitation ne peuvent être contrôlés que par le regroupement de toutes les aides sociales et la simplification des modalités d’attribution.

  • La « séparation des assurances sociales et de la redistribution sociale, dont l’imbrication réduit l’efficacité des deux » (Trainar, 2022) est nécessaire pour la clarté des deux systèmes sociaux et pour une gestion plus efficace.

  • Les aides sociales pourraient prendre la forme d’aides matérielles déjà utilisée par des organisations humanitaires. La gratuité des prestations destinées aux enfants accompagnerait la suppression de primes de fin d’année, de rentrée scolaire, de bourses d’études…

  • Les cotisations aux assurances sociales devraient être proportionnelles aux risques couverts et non aux revenus. Cela encouragerait au travail en réduisant les prélèvements sur les revenus (salaires et revenus du patrimoine) et limiterait le travail non déclaré.

  • L’allocation chômage est l’indemnisation d’un préjudice par l’assurance chômage. La verser mensuellement, comme c’est le cas actuellement, et la compléter intégralement dès le retour à l’emploi de façon qu’elle soit la même pour tout le monde (ce qui est la règle dans un régime assurantiel) serait une incitation forte et évidente.

Un lissage de la fiscalité de l’impôt sur le revenu pourrait réduire l’ampleur des hausses d’impôts : en cas d’augmentation de revenu, l’impôt payé sur celui de l’année N serait calculé avec la moyenne des taux annuels théoriques de l’année N-1 et de l’année N. En cas de diminution de revenu, l’impôt payé serait l’impôt dû (théorique).

Cette mesure existe déjà pour éviter que des salariés revenant à l’emploi soient fiscalisés et perdent plus en avantages sociaux qu’ils ne gagnent en travaillant. On peut l’étendre à toutes les tranches d’imposition pour atténuer la brutalité d’un changement de tranche. Un exemple est donné dans le tableau 2 ci-dessous. L’effet du lissage est visible surtout en 2024-2025.

Année

Revenu

Impôt payé

Taux marginal

Impôt Théorique

Réduction d'impôt

Taux appliqué

Taux théorique

2021

50 k€

8 922 €

30%

8 922 €

0 €

17,80%

17,80%

2022

60 k€

11 314 €

30%

11 922 €

608 €

18,90%

19,90%

2023

60 k€

11 922 €

30%

11 922 €

0 €

19,90%

19,90%

2024

70 k€

14 416 €

30%

14 922 €

505 €

20,60%

21,30%

2025

120 k€

30 253 €

41%

34 921 €

4 669 €

25,20%

29,10%

2026

140 k€

41 931 €

41%

43 121 €

1 190 €

30,00%

30,80%

2027

160 k€

50 301 €

41%

51 321 €

1 020 €

31,40%

32,10%

2028

180 k€

59 022 €

45%

60 307 €

1 285 €

32,80%

33,50%

2029

200 k€

68 158 €

45%

69 307 €

1 150 €

34,10%

34,70%

Tableau 2 : Impôts théoriques et réduits par lissage
(tranches d’imposition 2022, une part fiscale)

La réduction d’impôt par le lissage en 2025 est de 4 669 €, et réduit l’augmentation de l’impôt à 110 % au lieu de 132 %, pour une augmentation de revenu de 71 %. Sur les neuf années considérées, le total de la réduction d’impôt atteint 10 427 € pour un impôt total théorique de 306 665 €, soit 3,4 % (0,37 % par an). Cela semble suffisamment faible pour être compensé par l’augmentation du travail fourni en échange.

D’autres procédés de lissage sont faciles à imaginer. Une autre solution consisterait à fixer le taux maximal à égalité avec celui des prélèvements obligatoires sur les dividendes.

Inversement, l’exigence de justice sociale dans la population est alimentée par l’existence d’avantages considérables accordés aux chefs d’entreprise et aux cadres dirigeants et plus ou moins indépendants des résultats financiers de l’entreprise dont ils ont la responsabilité. Plutôt que de corriger les inégalités a posteriori par un taux marginal très élevé (45 %), il faudrait les limiter a priori, tout au moins ne pas les favoriser par des privilèges comme les stocks options, les retraites chapeaux, les parachutes dorés. Ce sont les actionnaires qui financent ces avantages. En donner à ces derniers la maîtrise, actuellement détenue par les conseils d’administration, est peut-être une solution.

LIMITES DE LA RATIONALITÉ

Il existe en France une contrainte idéologique, caractérisée par la forte rémanence dans la population des concepts de la lutte des classes et de la justice sociale. Tant que les milieux influents interpréteront toute inégalité comme une injustice sociale et considéreront la lutte des classes comme un moyen d’assurer le progrès économique et social, les deux principes de mouvement d’Adam Smith seront opposés : la réduction des inégalités par un prélèvement sur les revenus des uns et l’objectif d’égalité seront privilégiés par rapport à l’emploi et à la responsabilité individuelle. Les “bons sentiments” resteront substitués à la rationalité dans l’argumentaire des débats politiques, et l’intérêt général aux libertés constitutionnelles dans le fonctionnement démocratique. Les paramètres statistiques seront interprétés de façon biaisée pour défendre des idées a priori, et la rhétorique triomphera de la dialectique. Tout cela conduit aux abus de pouvoir que les libertés constitutionnelles ont justement pour objectif d’empêcher.

RÉFÉRENCES :

Boudon R., 2006, Renouveler la démocratie, Odile Jacob, Paris,.

Hayek F., 1967 (trad. Christophe Piton, 2007), Essais de philosophie, de science économique et d’économie, pp. 271-293, Les Belles lettres, Paris.

Hayek F., 1973 (trad. Raoul Audoin, 2007), Droit, législation et liberté, PUF, Paris, p. 453 et p. 456.

Madinier P. et Malpot J-J, 1979, La répartition du patrimoine des particuliers, Économie et statistique, N°114, Le patrimoine national, pp 77-93.

Merland G, 2004, L’intérêt général, instrument efficace de protection des droits fondamentaux ?, Cahiers du Conseil constitutionnel n°16.

Piketty Thomas, 2013, Le capital au xxie siècle, Le Seuil, Paris.

Rousselon J. et Viennot M., 2020, Inégalités primaires, redistribution : comment la France se situe en Europe, note d’analyse n°97, France Stratégie.

Smith A., 1860 (1759), (trad. Mmes de Grouchy et de Condorcet, 1860), Théorie des sentiments moraux, Guillaumin et Cie, Paris, p. 273.

Trainar P., 2022, Quel avenir pour l’État-providence ?, Commentaire, n° 179, automne 2022.

Agrégé de mathématiques, habilité à diriger des recherches en 26e section (mathématiques appliquées) . Retraité de l’université, Poitiers, France. Mel : thierry.foucart@outlook.fr

1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Coefficient_de_Gini

2 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-06/2020_infographie_cps.pdf

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