Confession d'un riche appauvri

Jésus et le jeune homme riche.Dans une autre vie j'ai été chef d'entreprise, qui plus est en France. Je suis donc un rescapé, qui ne regrette pas d'avoir pris la route de l'exil, il y a bientôt quatorze ans, et d'être parti pour un pays, la Suisse, où il se trouve si bien qu'il en est devenu citoyen. Bien que je sois loin d'eux maintenant, à tous points de vue, dans un pays paradisiaque en comparaison de celui où ils sont demeurés, j'ai gardé le contact avec un certain nombre de mes anciens confrères. Ce qu'ils me racontent sur la vie infernale qui est devenue la leur, sur le découragement qui les étreint, sur la déconsidération dont ils font l'objet de la part de leurs concitoyens, m'a inspiré un petit texte que je leur dédie, avec toute mon amitié attristée par leur sort. Francis Richard Confession d’un riche appauvri Tout jeune déjà je voulais être riche, je ne voulais pas être pauvre. Je me disais qu’être riche me permettrait de faire tout ce que je voulais, sans nuire pour autant aux autres, bien entendu, et, comme j’avais reçu une éducation chrétienne, je me disais que je pourrais de surcroît faire du bien autour de moi. En voulant faire du bien autour de moi, je ne chercherais pas à me donner bonne conscience, mais, parce que rien de ce qui est humain ne m’a jamais été étranger, très naturellement, une fois riche devenu, je voudrais, de moi-même, aider mes frères humains, proches ou lointains, qui auraient moins réussi que moi. Cependant j’avais un peu honte d’aspirer à devenir riche. Ce n’était pas bien d’être riche. N’était-ce pas, déjà à mon époque, ce que j’entendais tous les jours, sur tous les tons, dans mon pays, la France ? Je n’avais pas encore compris que nombre de ses habitants succombaient à la tentation de commettre le péché d’envie et qu’ils seraient toujours plus nombreux. Cette envie poussait mes compatriotes à vouloir faire payer les riches plutôt que de se donner la peine de le devenir eux-mêmes. Cette tentation n’était pas nouvelle. Elle provenait de l’idée d’égalité matérielle, bien différente de celle d’égalité en droit, qui procède, pour les croyants dont je suis, de l’égalité devant Dieu. Avant de me lancer, il me fallait toutefois vaincre un autre obstacle. Dans ma tête trottait la parabole du riche au salut difficile. Une fois riche devenu, après avoir observé les dix commandements de Dieu, devrais-je pour autant vendre tout ce que j’aurais accumulé de richesses pour le distribuer aux pauvres ? Il me fallut du temps pour comprendre le sens que je devais donner à cette parabole. En fait, je ne devais tout simplement pas mettre la richesse en tête de mes priorités, je devais la mettre à sa juste place, non pas celle d’une fin, mais celle d’un moyen, au service de mes aspirations solidaires les plus profondes. « De toute façon », me disais-je, « tout cela n’est que conjecture. Tu n’es pas riche, tu es même plutôt pauvre. Ce problème existentiel ne se posera à toi que lorsque tu seras riche. Ce qui n’est pas gagné. Car, comment riche deviendras-tu ? » Il ne m’a pas fallu longtemps pour me rendre compte que ma principale richesse se trouvait en moi : il me fallait cultiver mon esprit, il me fallait acquérir des connaissances pour le nourrir, si possible dans un domaine qui lui plairait. A partir de là, tous les espoirs me seraient permis. Mes connaissances me permettraient d’innover, de créer des biens ou des services que je pourrais échanger avec d’autres contre d’autres biens ou d’autres services. Si j’étais un tant soit peu malin, je pourrais faire comme la fourmi de la fable, mettre de côté une partie de ce que j’aurais reçu en échange de ce que j’aurais produit et m’en servir ultérieurement pour investir dans ce qui me permettrait de produire d’autres biens ou d’autres services. Pendant des années, j’ai réalisé ce beau programme et suis devenu riche. J’ai même pu, comme j’en avais l’intention dès le départ, aider des frères humains qui avaient moins bien réussi que moi, à commencer par ma famille au sens strict, puis au sens large, pour finir par des personnes plus éloignées qui ne demandaient qu’une chose, que quelqu’un leur mette le pied à l’étrier, quitte à lui manifester leur reconnaissance sur laquelle il ne comptait pas. Chaque année, cependant, je devais me rendre compte que l’accroissement de mes richesses ralentissait, quelque effort que je fournisse. Pourtant, je produisais toujours autant de biens et de services et ma petite entreprise ne connaissait pas la crise. Mais quantité produite ne signifie pas croissance de richesses. Je l’ai appris à mes dépens. Force me fut en effet de constater que, furtivement, j’étais exproprié d’une part de plus en plus importante des fruits que je produisais. Au début, cela n’était pas sensible, la productivité accrue de ma petite entreprise compensait plus que largement ce qui m’était soustrait. Au bout d’un certain nombre d’années, toutefois, ce ne fut plus le cas. Pendant longtemps je crus naïvement que l’Etat était là pour faire respecter les contrats que je concluais avec d’autres – j’avais confiance en la justice de mon pays – et pour assurer la sécurité des biens et des personnes. Au contraire de remplir ces rôles que je croyais justifications de son existence, il distribuait de plus en plus, à ma place, de mes richesses à ceux qu’il considérait réglementairement comme des pauvres, toujours plus nombreux. Alors, je le confesse, comme moult de mes confrères, j’ai levé le pied. Je ne me suis plus astreint à faire mes deux fois trente-cinq heures par semaine. J’ai gagné moins, je me suis appauvri en quelque sorte, comme tout le monde autour de moi. A quoi bon rester riche ? Je ne suis plus à même d’aider les autres, ce que je faisais naguère de bon cœur. Nous sommes tous, plus ou moins, devenus pauvres... Francis Richard



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