« Contre-terrorisme : action et résilience »

Le terrorisme : tuer pour dire. Le combat contre le terrorisme est un combat difficile qui s’inscrit dans la durée, le “temps long”. L’action terroriste est un moyen au service d’une fin, elle recherche une victoire au moins symbolique. Elle consiste en tout acte pouvant provoquer l’épouvante dans le camp adverse (du latin terrere : faire trembler). La terreur peut émaner d’un Etat, c’est la “terreur d’en haut”, pratiquée par un appareil répressif public. Le terrorisme auquel nos sociétés démocratiques sont confrontées relève de la “terreur d’en bas”, violence des individus ou de groupes constitués, contre le pouvoir. Ce terrorisme traduit une impatience, il a décidé de frapper les représentants de la “tyrannie” avant que les masses aient développé une conscience et se soient révoltées. Il peut avoir pour objectif de détruire un Etat (anarchistes), le séparatisme (nationalistes indépendantistes), ou, bien sûr, le règne de Dieu (fondamentalistes). Pour les terroristes il n’existe pas de victime innocente dans la mesure où toute personne qui ne les rejoint pas est complice de l’ennemi, donc coupable : le soldat représente la force armée, le civil a porté au pouvoir les dirigeants honnis, la femme peut engendrer un soldat, et n’importe quel enfant peut le devenir un jour. A leurs yeux chacun participe du système oppressif ou impie. Dans leur conception du rapport à l’Etat qu’ils attaquent, les terroristes considèrent que c’est la violence de ce dernier qui est la première, et qu’ils ne font que riposter selon une “légitimité supérieure”, à une domination, une occupation, une persécution. L’action terroriste est donc un crime qui se pense comme un châtiment contre un groupe dénoncé comme agresseur. Par conséquence, c’est celui qui réprime, l’Etat, qui serait le “vrai terroriste”. Ainsi, il n’est pas de mouvement terroriste qui ne prétende tirer sa légitimité d’une injustice. Cette réaction à l’injustice justifie de parler, de venger et de tuer au nom d’une communauté entière, plus large que la communauté combattante. Cette dernière représente les masses qui suivront un jour, lorsqu’elles auront compris la nécessité de l’action. Un même courant terroriste peut pratiquer diverses formes de violence. Ainsi l’organisation “Etat islamique” (Daech) mène une guerre conventionnelle en Syrie et en Irak, entretient des mouvements de guérilla au Sahel, en Libye et au Nigéria, envoie des commandos exécuter de véritables opérations extérieures (Bataclan), et encourage un terrorisme spontané. Le terrorisme adopte donc des stratégies hybrides et changeantes, et sa violence se veut provisoire. En effet, ses actions ne se veulent qu’une étape en attendant la mobilisation des masses qui formeront une armée véritable pour une vraie révolution et la prise du pouvoir. Sur la voie de l’adhésion des masses la séduction de nouvelles recrues est un paramètre important, tout comme l’affaiblissement matériel et surtout moral de l’ennemi. Dans ce rapport de force la théâtralisation est devenue une arme. Brian Jenkins, spécialiste américain du terrorisme a écrit “Le terroriste ne veut pas que beaucoup de gens meurent, il veut que beaucoup de gens regardent”. Daech, avec ses revues multilingues, ses chaînes Web 2.0, et son impact sur les réseaux sociaux, a parfaitement intégré les outils de communication du XXIème siècle comme vecteurs de sa propagande. Les terroristes désirent également créer des mythes et forger une légende pour justifier et pérenniser leur action. Un des buts de Daech est de faire en sorte que le souvenir de son emprise territoriale se perpétue, même lorsqu’elle appartiendra au passé. Ils veulent que son souvenir survive sous la forme d’une épopée à travers les mémoires numériques et les réseaux, que les Etats ne peuvent ni interrompre ni contrôler. La méthode terroriste inflige moins de victimes qu’une guerre classique, mais elle parvient à démoraliser et à délégitimer l’adversaire avec peu de moyens. Nous pouvons parfois nous sentir quelque peu démunis face à des gens qui disent haïr nos démocraties, notre prospérité et notre tolérance, au profit d’une lecture religieuse fanatique, et du désir de conquête du monde. Les services de renseignement français. La France est confrontée à la menace terroriste depuis plusieurs décennies. Après une interruption de près de seize ans le territoire national a été frappé à nouveau en mars 2012 (Mohammed Merah), puis à plusieurs reprises en 2015 et 2016. Le bilan est de 250 tués et 800 blessés. Plusieurs commissions parlementaires ont analysé le rôle et la place des services de renseignement et de sécurité dans la lutte contre le terrorisme. Plus encore que la Guerre froide, la lutte contre le terrorisme est une lutte de renseignement. Alain Chouet, spécialiste du renseignement a écrit “le contre-terrorisme repose sur la capacité de décèlement précoce des services de renseignement intérieurs et extérieurs, ainsi que sur leur aptitude à proposer au politique des contre-mesures qui peuvent relever des domaines diplomatique, économique, social, culturel ou politique, tout autant que de l’action violente préemptive s’il y a péril en la demeure”. En effet le rôle des agences est essentiel ; elles doivent déceler des projets d’attentats, éviter l’emploi d’armes de destruction massive, dissuader certains Etats de sponsoriser des actes terroristes, et éloigner la perspective d’une dissémination sociétale des pratiques terroristes. La France dispose d’un régime original de lutte antiterroriste qui suscite l’intérêt à l’étranger. Mis en place depuis l’attentat de 1983 contre la compagnie Turkish Airlines, le renseignement français est caractérisé par l’importance donnée au vecteur humain, la spécialisation des magistrats, et un régime pénal dérogatoire du droit commun (garde à vue allongée, présence retardée d’un avocat, perquisitions de nuit). Sa conception générale a été fixée en 2006 dans le Livre blanc sur la sécurité intérieure face au terrorisme, qui liste les domaines d’intervention des services dans un cadre général : surveillance des vecteurs de projets d’attentat et “neutralisation” des flux dangereux de personnes et de capitaux. Cette posture, qui visait initialement Al Qaida, n’a pas été adaptée depuis dix ans alors que la menace a changé de nature et s’est rapprochée. Sur le plan opérationnel, les méthodes de renseignement ont des caractéristiques spécifiques. La lutte antiterroriste a conduit les agents à devenir davantage des “chasseurs” d’informations que des “récoltants” concentrés sur des objets spécifiques. Ils ont pour cœur de métier la prévention des attentats, la neutralisation des filières et des réseaux terroristes, l’appui aux opérations militaires extérieures, et la recherche d’otages. La notion de filière quant à elle, est devenue centrale ; ainsi sur le territoire national, le nombre d’individus radicalisés “fichés S” (surveillés) est passé d’une centaine en septembre 2014 à 3600 en mai 2016. La notion d’entrave, décrétée en 1982 et attribuée à la DGSE “vise à empêcher la survenance d’un événement non désiré, par tout moyen, même militaire”. L’entrave a été utilisée plusieurs fois, et ce sont 80 djihadistes qui auraient été éliminés en trois ans au Sahel. Sur le plan géographique le champ d’action, concentré sur le territoire national, est néanmoins défini par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 : il s’agit d’un “arc de crise” s’étendant “de l’Atlantique à l’océan indien, et de la Mauritanie au Pakistan”. Conjointement aux diplomates, les services y travaillent à la compréhension des conséquences de la poussée de l’islam radical, des antagonismes entre sunnites et chiites, de la question kurde, et de la fragilité des régimes politiques locaux. Sur le plan organique, des réformes opérées en 2008 et 2009 ont créé six services “de 1er rang” : la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction du renseignement militaire (DRM), la Direction de la protection et de de la sécurité de la défense (DPSD), la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), et la Cellule de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN). La Direction de la surveillance du territoire (DST) et la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG) ont fusionné en une Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) devenue la DGSI en mai 2014. La fusion des deux grands services a conduit à un affaiblissement du renseignement de type local, partiellement compensé par la création du Service central du renseignement territorial (SCRT) regroupant 2000 personnes. Les moyens alloués aux services ont beaucoup progressé depuis 2001. En 2010 la DGSE consacrait déjà 90% du renseignement technique à l’antiterrorisme, et en 2016, 75% des agents de la DGSI y sont affectés. Après les attentats de janvier 2015 le gouvernement a annoncé le recrutement de 1400 fonctionnaires dédiés à la lutte antiterroriste, principalement au bénéfice de la DGSI et du SCRT. Néanmoins, contrairement aux autres démocraties où des centres nationaux de coordination de la lutte contre le terrorisme ont vu le jour, les structures de coordination des services ont peu évolué, et les résultats du renseignement peuvent paraître insuffisants. Les attentats du 13 novembre 2015 ont été préparés hors des frontières et ont eu lieu sur le sol français. L’échec des services a été reconnu devant l’Assemblée nationale par les responsables de la DGSE et de la DGSI. Si le renseignement reste l’outil correspondant par excellence à l’action antiterroriste, son adaptation à la menace doit être permanent et se faire en profondeur. Les unités d’intervention. Les premières unités françaises à vocation antiterroriste voient le jour dans les années 1970. En septembre 1972 lors des jeux olympiques de Munich, a lieu la prise d’otages sanglante des athlètes israéliens. Un mois plus tard sont créés les Groupes d’intervention de la police nationale (GIPN). La même année la Brigade de recherche et d’intervention de la Préfecture de Police de Paris (BRI, dite brigade Antigang) sise “36 quai des Orfèvres”, créée en 1964 et spécialisée dans la lutte contre les vols à main armée, voit naître un dérivé, la BRI-BAC (Brigade anti-commando), pouvant regrouper 130 policiers. En octobre 1973 est créé le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). Regroupant 580 hommes il intervient en premier sur les missions de piratages, détournements, attaques d’avions, navires, sites de production d’électricité, et prises d’otages de ressortissants français à l’étranger. Comme le RAID et le GIGN il intervient également pour la neutralisation de personnes dangereuses et armées. En 2016 les pelotons d’intervention interrégionale de Gendarmerie (PI2G) sont redésignés antennes du GIGN, en appui ou en couverture duquel ils peuvent intervenir. Enfin le RAID (Recherche, assistance, intervention et dissuasion), créé en 1985, regroupe 350 policiers formés à la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme, et la neutralisation d’individus dangereux par la négociation ou l’intervention. Il assure la protection des hautes personnalités, forme les policiers français et étrangers dans les domaines de l’antiterrorisme et de la prise d’otage, teste des matériels spécifiques, participe à la sécurisation des procès à haut risque, et aux extractions et escortes de détenus sensibles. Le RAID entretient une cellule négociation qui obtient dans 80% des cas une reddition volontaire du forcené. En 2015 les GIPN sont devenus des antennes du RAID, qui a collaboré pour la première fois avec le GIGN lors de la double prise d’otages en France le 9 janvier 2015. Suite à ce même drame la BRI de Paris a constitué une Force d’intervention rapide (FIR) permettant aux policiers d’arriver sur les lieux d’un attentat moins d’un quart d’heure après l’alerte. Les services d’intervention sont désormais confrontés à des nouvelles caractéristiques de l’action terroriste : des attaques suicidaires avec prises d’otages, et des attaques isolées de “cibles molles” (gares, lieux de culte, supermarchés...). Dans les deux cas les agresseurs ne négocient pas et veulent mourir. En conséquence les modes opératoires des forces d’intervention changent : elles doivent être en mesure de se déployer très rapidement pour faire cesser l’agression en évitant le maximum de morts, et d’intervenir simultanément sur plusieurs sites en cas d’attaques coordonnées. Leur principal objectif est dorénavant de raccourcir les délais entre l’événement et l’assaut. Leurs méthodes et tactiques ont été révisées plusieurs fois, et l’expérience des attaques de Mumbai en octobre 2008 ont incité les unités à se regrouper au sein d’une seule structure. Ainsi en 2009 naît la Force d’intervention de la Police nationale (FIPN) regroupant le RAID, le GIPN, et la BRI-BAC, et permettant de coordonner des interventions sur plusieurs zones. Regroupant 590 hommes, la FIPN est activée à la demande, et n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis janvier 2015. L’évolution des modes d’action terroristes nécessite une très forte complémentarité entre les unités, et les querelles intestines doivent être impérativement dépassées. Le 19 avril 2016 a été acté le “schéma national d’intervention” déterminant les modalités d’action des forces d’intervention de la Gendarmerie et de la Police en cas d’attaque terroriste. Il est à signaler que ce texte a été difficile à élaborer, aucune des unités concernées ne voulant perdre ses prérogatives et ses territoires attribués. Le dispositif repose sur plusieurs principes et trois piliers : L’intervention élémentaire concerne les policiers et gendarmes des services généraux, ceux du terrain. Ils sont les primo-intervenants, premiers à intervenir immédiatement sur les lieux pour faire face aux terroristes. L’intervention intermédiaire concerne principalement la Brigade anti criminalité (BAC), les Pelotons de surveillance et d’intervention de la Gendarmerie (PSIG), mais aussi les Compagnies républicaines de sécurité (CRS) et d’autres unités de police et de gendarmerie. Leur mission est de neutraliser les agresseurs ou d’empêcher leur fuite en les fixant sur les lieux de l’attentat pour qu’ils s’y retranchent, tout en préservant la vie des otages. L’intervention spécialisée concerne le RAID, la BRI et le GIGN. Il s’agit de l’assaut final qui doit neutraliser définitivement les agresseurs. Pour plus d’efficacité et dépasser les querelles entre directions, une procédure d’urgence permet aux unités les plus proches de l’attentat, d’intervenir sans avoir à se préoccuper de la zone de compétence entre Police et Gendarmerie. De plus un seul et unique chef sera responsable sur les lieux d’un attentat : le “commandant des opérations d’intervention spécialisé”. De même, un seul coordinateur sera nommé en cas d’attaque multiple sur une même zone de compétence. La dimension militaire. Depuis 2001 les forces armées ont été impliquées officiellement dans la lutte contre le terrorisme, et directement confrontées à ce type de combat en Afghanistan, en Libye, et au Mali. En 2006 la Ministre de la défense Michèle Alliot-Marie dit “Il n’y a de sécurité que globale. La sécurité globale appelle des réponses qui le sont tout autant [...] La lutte contre le terrorisme commence à l’extérieur de nos frontières, avec les activités de renseignement, de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive ou les opérations menées par exemple en Afghanistan”. Dans la décennie 2000 les armées sont donc reconnues par les autorités comme des acteurs majeurs de la lutte contre le terrorisme à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur du territoire, en appui aux forces de l’ordre. En 2008 le Livre Blanc certifie la mission face à une menace devenue un continuum : “La distinction traditionnelle entre sécurité intérieure et sécurité extérieure n’est plus pertinente. [...] Une telle continuité revêt désormais une dimension stratégique dont il est urgent que la France et l’Europe tirent toutes les conséquences. Elle implique la définition de stratégies d’ensemble, intégrant les différentes dimensions de la sécurité dans une même approche”. Les armées voient donc leur action cadrée dans des situations précises liées au terrorisme : des opérations “spéciales” autonomes ou multilatérales, comme la libération d’otages ou la poursuite d’auteurs d’actes de terrorisme. Mais le grand saut fut leur retour sur le théâtre d’opérations intérieur, inédit depuis la bataille d’Alger en 1957, lors de laquelle l’armée s’était vu octroyer des pouvoirs de police afin de démanteler les réseaux FLN. Depuis la fin de la guerre d’Algérie l’armée française s’était consacrée exclusivement à la défense de la patrie face à la menace du bloc de l’est. A partir de 1995 le plan Vigipirate, créé en 1978, avait été réactivé suite aux attentats du Groupe islamique armé (GIA) algérien. Ces patrouilles de militaires affectées aux lieux publics contribuaient à rassurer la population, mais leurs effectifs demeuraient faibles. En effet en 2014, lors des fêtes de fin d’année, elles ne rassemblaient que 1000 militaires. Les attentats de 2015 et 2016 ont conduit à la mobilisation de 10 500 militaires dans le cadre de l’opération Sentinelle. Cette nouvelle montée en puissance de l’engagement des forces armées dans la sécurité intérieure est placée sous la responsabilité politique et opérationnelle du ministre de l’Intérieur. Le concours des forces armées est régi par un contrat opérationnel conclu entre les armées et le ministère de l’Intérieur. Ce contrat porte sur deux domaines : la situation opérationnelle de référence, c’est à dire les missions permanentes et à assurer dans la durée (postures permanentes de dissuasion, de sûreté aérienne et de sauvegarde maritime, forces de souveraineté et de présence, dispositifs d’alerte, et deux à trois théâtres d’opération), et les engagements circonstanciels (engagement majeur en intervention, opération extérieure de coercition au sein d’une coalition internationale, engagement d’urgence en protection sur le territoire national). Ce “contrat protection” a été détaillé en 2010 dans une instruction interministérielle qui définit quatre scenarii d’engagement, parmi lesquels une attaque terroriste majeure et une crise d’ordre public. La “projection intérieure” pérenne des militaires est donc désormais tout à fait envisageable. Sentinelle est amenée à s’inscrire dans la durée, tout comme la menace djihadiste, et une garde nationale a été créée. Une telle mobilisation des forces armées implique de penser au recrutement, à l’instruction, à l’entraînement, à l’équipement, au logement des forces, et au cadre juridique de l’usage qu’elles feront de leurs armes. Cette réflexion stratégique et donc budgétaire est majeure. Elle est devenue incontournable pour la défense du territoire national. La législation antiterroriste. Le Code pénal a introduit des incriminations nouvelles et accru les peines encourues en matière de terrorisme. En effet les infractions de nature terroriste se caractérisent par la réunion de deux éléments : un élément matériel, une infraction existante (atteinte aux personnes, aux biens, etc...), et un élément moral particulier, l’intention de « troubler gravement l’ordre public, par l’intimidation ou la terreur ». Le mobile constitue donc ici un élément de l’infraction, qui est commise à l’encontre des victimes immédiates, et attente à l’ensemble de la Nation. Le législateur a doublé les peines et la réclusion criminelle à perpétuité est généralement appliquée. La loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, met en place une interdiction administrative de sortie du territoire pour les ressortissants susceptibles de se radicaliser à l’étranger. Cette interdiction court sur six mois renouvelables “aussi longtemps que les conditions seront réunies”. L’interdiction administrative d’entrée sur le territoire français en cas de menace grave pour l’ordre public, même à l’encontre d’un ressortissant de l’Union européenne, est également possible. De plus, les délits de provocation à la commission d’actes terroristes et d’apologie du terrorisme sont désormais inclus dans le Code pénal, et assimilés à des délits terroristes. Ils sont passibles de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, peines portées à sept ans et 100 000 euros lorsque les faits ont été commis en utilisant internet. La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, a porté la période de sûreté à trente ans d’emprisonnement pour les crimes les plus graves, et limité l’accès à une libération anticipée. La loi du 24 juillet 2014 relative au renseignement constitue désormais le cadre légal des services concernés. Les techniques jusqu’alors réservées au cadre judiciaire leur sont désormais étendues : balisage de véhicules, pose de micros dans des lieux privés, captation de données informatiques, et accès aux réseaux des opérateurs de télécommunications pour le suivi d’individus identifiés comme présentant une menace. En outre la loi du 24 juillet 2014 a également créé le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions (FIJAIT), destiné à prévenir les infractions et à identifier leurs auteurs. La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, donne aux juges et aux procureurs de nouveaux moyens d’investigation : perquisitions de nuit possibles dans des domiciles dans le cadre de la lutte antiterroriste et en cas de risque d’atteinte à la vie. La leçon sur laquelle s’appuie la réadaptation de la législation est la suivante : les crimes commis récemment en Europe montrent des failles dans la capacité d’anticipation, du fait de l’absence de structuration des liens entre les instigateurs et les auteurs. La coopération anti-terroriste au sein de l’Union européenne. L’intensification de l’action terroriste a conduit à un renforcement de la coopération antiterroriste au sein de l’Union européenne. En 2014, 774 individus y ont été arrêtés pour des délits liés au terrorisme (essentiellement d’inspiration religieuse), contre 535 en 2013. Le plus grand nombre s’est produit en France (238). Les enquêtes ont mis en évidence une menace émanant de personnes auto-radicalisées, auto-organisées et auto-financées. Si les traités européens précisent que les Etats membres sont garants de l’ordre public et de la sécurité intérieure sur leurs territoires, ils assignent également à l’Union la mission de maintenir un niveau élevé de sécurité. La première forme de coopération antiterroriste européenne a vu le jour dans les années 1970 contre les activistes d’extrême-gauche. Après 2001 l’action européenne est montée en puissance, et à la suite des attentats de Madrid en 2004, le Conseil européen a décidé la création du poste de Coordinateur de la lutte contre le terrorisme. Après les attentats de Londres en 2005 la stratégie européenne a retenu quatre axes principaux : la prévention, la protection, la poursuite et la réaction. Outre la stratégie, l’Union a adopté des mesures législatives et opérationnelles. En 2002 sont acceptés une définition commune du terrorisme assortie de peines d’emprisonnement harmonisées, ainsi que l’établissement du mandat d’arrêt européen. Opérationnel en 2007, ce dernier permet de réduire les délais d’extradition de un an à quarante-huit voire seize jours. En 2004 et 2008 est arrêtée une stratégie de lutte contre le financement du terrorisme. En août 2010 est entré en vigueur un Programme de surveillance du financement du terrorisme, conclu avec les Etats-Unis. Le rétablissement temporaire du contrôle aux frontières à l’intérieur de l’espace Schengen est acté en 2006. La coopération policière s’est développée et l’agence européenne Europol (European Police Office) se consacre en priorité à la lutte antiterroriste. A cette fin les services répressifs et Europol peuvent accéder à la base de données sur les demandeurs d’asile EURODAC. Le contexte a poussé l’Union européenne à prendre des mesures pour assurer la sécurité des explosifs et des infrastructures critiques (routes, voies ferrées, réseaux d’électricité et centrales électriques). La coopération judiciaire s’est également développée à travers l’unité de coopération judiciaire EUROJUST (European Union’s Judicial Cooperation Unit) créée en 2002, qui est saisie en matière de terrorisme. Avec les pays tiers l’Union conclut des clauses et des accords de coopération et de renforcement des capacités. La coopération avec les Etats-Unis occupe dans ce domaine une place majeure, mais l’Australie et le Canada sont également concernés. Toutefois la mobilisation européenne n’a pas été assez opérationnelle. Europol et Eurojust ne sont pas toujours impliqués par les services qui préfèrent traiter directement avec leurs homologues étrangers. Enfin, la lutte contre le terrorisme au niveau européen est confrontée à la recherche d’un équilibre difficile entre répression et respect du droit et de la démocratie. Les connexions entre les flux migratoires et la criminalité, sujet médiatique et polémique, doivent être identifiées. Pour cela EUROPOL doit travailler avec l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne (FRONTEX). Adoptée en novembre 2015 la réforme d’EUROPOL va permettre une meilleure réactivité face au terrorisme. EUROPOL a d’ailleurs ouvert an janvier 2016 à La Haye un Centre européen de contre-terrorisme (ECTC). En avril 2016 a été adopté par le Parlement européen et le Conseil, un système européen de dossier de données des passagers de vols aériens (PNR). Une proposition de règlement du 23 janvier 2016 vise à créer une agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes à partir de FRONTEX. Le Conseil européen accentue sa réflexion et le dialogue avec les pays tiers sur le lien entre développement et sécurité. La prévention des migrations irrégulières, la lutte contre la propagande djihadiste sur internet, la responsabilisation des acteurs privés d’internet qui doivent être mieux impliqués dans la lutte antiterroriste, le relèvement à un niveau commun élevé de sécurité des réseaux du web et de l’information : telles sont les priorités affichées de l’Union européenne en matière de contre-terrorisme. Les formes de la résilience. En plus de la réponse armée institutionnelle émanant des autorités de l’Etat agressé, existe le concept de résilience. Celui-ci émane de la société attaquée, et est indissociable, à son échelle, du contre-terrorisme. On lit dans le Livre Blanc de 2008 : “La résilience se définit comme la volonté et la capacité d’un pays, de la société et des pouvoirs publics à résister aux conséquences d’événements graves, puis à rétablir rapidement leur fonctionnement normal, à tout le moins dans des conditions socialement acceptables “. Pour les experts britanniques la résilience est “la capacité d’une société donnée à encaisser les conséquences d’une crise majeure”. Les individus entretenant des relations à la société et à l’Etat, les formes de résilience sont au nombre de trois : la résilience individuelle concerne essentiellement les victimes directes des actes terroristes, et aussi, en dernier ressort, lorsque l’Etat a disparu et que les liens sociaux se sont complètement délités parce que la société a sombré dans le chaos, celui qui défend fusil en main sa famille et sa maison contre tous les dangers, omniprésents (c’est l’ “ultime bouclier”) ; la résilience sociétale touche à la cohésion de la société, et sa capacité à être ébranlée tout en gardant celle de mettre en avant le “vivre ensemble”, le “faire ensemble”, et à intégrer et accueillir des immigrants. C’est cette résilience qui intègre la problématique de construction mentale de l’ “adversaire” ou de l’ “ennemi” ; la troisième forme de résilience est la résilience politique qui interroge sur la possibilité pour l’action terroriste, de faire changer le résultat d’une élection, de faire tomber un gouvernement, de faire tomber un régime en provoquant le remplacement d’une démocratie, par le renforcement de mesures sécuritaires limitant les libertés individuelles. La logique terroriste entend opposer un système de combat aux sociétés occidentales démocratiques, marqué par l’instillation de la peur. Sa recherche d’influence sur les esprits est totale, avant, pendant et après les actes. Peu importe aux yeux des agresseurs que leurs réseaux soient démantelés après les attentats. Pour un groupe terroriste, le seul fait d’avoir frappé est perçu comme une victoire, en particulier lorsque les actions sont menées contre des Etats disposants de moyens supérieurs. Face à une telle conception de nuisance, la société agressée doit se montrer capable d’encaisser l’attaque et subir ses effets en évitant une disruption fatale. Elle doit intérioriser l’action, l’assimiler et lui donner une suite : l’après-attentat. La problématique de la résilience est de savoir en quoi et comment l’assimilation de l’action va l’affecter de façon durable, ou la transformer. La direction politique joue un rôle original, crucial et central dans la résilience. Elle organise les services de renseignement et de sécurité, et se doit également de contrôler la résilience virtuelle lorsqu’elle s’exprime spontanément. La résilience spontanée est virtuelle car elle demeure en puissance dans tout groupe social. Ainsi le 11 septembre 2011 des pompiers qui n’étaient pas en service ont accouru sur les lieux de l’attentat, et de nombreux pilotes de bateaux de l’Hudson se sont déroutés pour évacuer les civils. Mais cette résilience, pour être spontanée, doit être encadrée car elle peut se transformer en débordements nuisibles à la cohésion de la société. Ainsi en 2004 aux Pays-Bas l’assassinat du réalisateur Théo van Gogh par un islamiste, généra-t-il une vague de muslim bashing (chasse aux musulmans). Ces débordements sont une réaction de la société au choc qu’elle vient de subir. Elle croit ainsi se réapproprier sa propre sécurité en chassant les éléments qu’elle identifie comme fauteurs de troubles. Ainsi l’attentat terroriste est-il la source d’une énergie qui doit ensuite se transmettre dans la société pour que celle-ci l’absorbe. Cette énergie peut donc être source de réactions positives comme négatives. Les réactions négatives peuvent entraîner la radicalisation de la société, et sa division par la stigmatisation d’une partie par une autre. Au contraire, une société qui fait front uni contre l’adversité générée par le terrorisme lance un message à l’ennemi, lui indiquant qu’il trouvera toujours une opposition à ses plans. Dès lors les terroristes ont en face d’eux non seulement des services de renseignement qu’ils doivent défaire, mais également une société unie capable de se reconfigurer face aux coups. Cette capacité donne à la résilience une valeur dissuasive dans la mesure où la société dit clairement aux terroristes “Vous frappez, mais c’est en vain car vous n’obtiendrez pas les effets escomptés”. La résilience peut également être spontanée et ne pas soutenir le pouvoir politique. Ainsi après les attentats de Madrid en 2004 de grandes marches silencieuses d’indignation ont montré la résilience virtuelle des Espagnols, mais le traitement de l’après-attentat fut fatal au gouvernement Aznar. La résilience sociétale a été importante, contrairement à la résilience politique qui était ciblée par les terroristes. Ces derniers ont obtenu le désengagement de l’armée espagnole d’Irak. L’intervention militaire avait suscité dès le début la désapprobation d’une partie de l’opinion publique espagnole. Il est donc permis de se demander si, en fin de compte, la résilience espagnole n’a pas été déficiente. Enfin la résilience fait appel à notre capacité à concevoir notre propre fin. Nous avons intégré comme possible de perdre la vie au volant et nous prenons sciemment ce risque réel au quotidien. La mort non naturelle et accidentelle fait partie de nos sociétés. Le risque terroriste n’est pas naturel mais bien intentionnel. La sécurité absolue, tout comme l’insécurité absolue, n’existe pas. Le renforcement de notre résilience face aux attentats terroristes, ne passera-t-il pas par l’intégration de plus en plus prégnante de l’intentionnel dans notre rapport à la notion de vulnérabilité, et par une place de moins en moins importante accordée à l’accidentel ? Point ici de fatalisme, mais simplement une piste de réflexion qui mérite d’être évoquée. Enseignement et résilience. Dans son ouvrage “L’armée nouvelle” publié en 1915 Jean Jaurès expose les liens qu’il préconise entre enseignement et défense de la nation, et surtout évoque l’action du premier au profit de la seconde : création de chaires de science militaire dans toutes les grandes universités, financement par les syndicats des études militaires des fils de syndiqués les plus aptes, organisation par le “prolétariat” de séances de tir et d’exercices physiques devant préparer au service militaire. Ainsi instruits en amont, les appelés pourraient entrer directement dans la phase opérationnelle dès le début de leur conscription. Jaurès se place ainsi dans la tradition révolutionnaire française de la “nation en armes”. Ce sujet de l’éducation aux questions militaires pour maintenir la “nation en armes” fut également repris par le général Etienne Copel dans les années 1980. Il y voyait l’engagement de tous dans la défense (une garde nationale impliquée dans la lutte contre le terrorisme... déjà), et la possibilité de réduire l’antimilitarisme, y compris dans l’enseignement, qui aurait participé à la formation des futurs soldats. Le contexte a changé, mais le terrorisme reste un facteur de mobilisation importante des populations. Les clés permettant la compréhension des événements, de leurs tenants et de leurs aboutissants permettent de donner du sens à l’épreuve traversée. Cette question du sens est essentielle, et ne pas l’aborder, ne pas la nourrir, ne contribuerait qu’à alimenter la “culture de la peur” voulue par les terroristes. Donner du sens au contexte de menace permet de poser les jalons qui vont le connecter à la réalité de la continuité historique. Saisir le sens des événements permet par la suite également, de développer la faculté d’anticiper d’autres événements et les mesures à prendre en conséquence. Or l’enseignement est au coeur même de la problématique de production de sens. L’enseignement moral et civique (EMC) pose les bases d’une stratégie de résilience en démontrant les formes du “vivre ensemble”, mais plus encore, du “faire ensemble”. Le programme de la matière indique “que l’on ne naît pas citoyen, mais qu’on le devient, qu’il ne s’agit pas d’un état, mais d’une conquête permanente ; le citoyen est celui qui est capable d’intervenir dans la cité”. A ce titre, il doit justement préserver la cité dont il est acteur, et doit être conscientisé au mieux pour savoir ce qu’il défend, et par là même, devenir résilient. La maîtrise de l’information doit permettre la conscientisation face à la menace, mais aussi de rester serein et indépendant face à ses excès et débordements. Elle évite la paranoïa et les éventuelles expressions négatives de résilience spontanée que nous avons évoquées plus haut. A nouveau c’est l’enseignement qui concourt pleinement à la formation de l’esprit critique nécessaire à une bonne lecture de l’information. Enfin il joue un rôle important dans l’assimilation des réflexes de sécurité ordinaires. Au sein des établissements scolaires l’apprentissage des actes réflexes en cas d’incendie, d’évacuation des locaux, ou d’accident de la route, pourrait être commun à ceux à adopter en cas d’attentat ou d’accident industriel. Les procédures sont en effet similaires, et cette mesure, relativement peu coûteuse et facile à mettre en oeuvre, concourrait à un sentiment de sécurité optimisé, et, partant, d’une résilience plus solide. Bien loin de la paranoïa, la place de la résilience au sein de l’enseignement transmis aux jeunes générations, permettrait justement de poser les bases d’une solidité morale et psychologique face à l’épreuve, sachant que l’on ne maîtrise ses peurs qu’une fois que l’on en connaît les ressorts.



1 commentaire(s)

  1. […] par les drames de la guerre d’Algérie via les récits des Pieds-noirs et aujourd’hui par le terrorisme, certes plus musulman qu’arabe, mais représenté en France par des individus d’origine […]


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