Le Libéralisme et l’Importance de la Causalité

Le Libéralisme et l’Importance de la Causalité

 

 

Par Finn Andreen, novembre 2023

 

Même si le soutien du libre marché s'est renforcé au cours des dernières décennies, le libéralisme, celui de Frédéric Bastiat et de Ludwig von Mises, ne peut encore être considéré qu'un mouvement marginal. La majorité continue à penser que de nombreux problèmes sociaux sont dus à une "défaillance du marché", qui donc nécessiteraient forcément une intervention de l'État pour être "résolus". Malgré les défauts évidents du socialisme moderne, avec sa combinaison improbable d’État providence redistributif et de capitalisme mondialiste de connivence, et malgré le solide socle philosophique et empirique du libéralisme moderne, celui-ci est encore loin de bénéficier du soutien majoritaire qu'il mérite si amplement.

 

Il y a plusieurs raisons à cela. Bien sûr, l’idéologie étatiste des médias dominants et de l'éducation public empêchent la diffusion des idées de liberté dans la société et limitent notamment une vraie compréhension du libre marché. Cependant, une raison souvent négligée, mais tout aussi importante, est l’existence d’une négligence généralisée de la causalité. Lorsque les causes réelles et sous-jacentes des problèmes sociaux et économiques sont inconnues ou mal comprises, il n'est pas surprenant que la majorité soutient des propositions étatistes à ces problèmes.

 

L'importance des causes

 

Pourtant, l'importance des causes pour le développement humain a été comprise depuis le début de l'Antiquité, se cristallisant avec Aristote et sa théorie de la causalité. Suivant cette tradition, Herbert Spencer considéra la découverte des lois causales l'essence de la science ; il estimait que ceux qui ignorent l'importance de l'identification des causes, quel que soit le sujet, sont susceptibles de tirer des conclusions erronées.

 

Dans son ouvrage le « Crépuscule des Idoles », Nietzsche critiqua la société moderne pour ses erreurs de causalité ; à savoir « l'erreur de fausse causalité », « l'erreur de causes imaginaires », et « l'erreur de confusion de cause à effet ». Malheureusement, il avait raison, car ces erreurs sont fréquemment commises dans tous les domaines de la vie économique et politique.

 

Dans le domaine des relations internationales, par exemple, l’oubli de l'Histoire contemporaine conduit à ignorer les causes réelles d'événements politiques majeurs. Les graves conflits d'aujourd'hui auraient certainement pu être évités si leurs causes multiples et profondes avaient été examinées sobrement et objectivement par les dirigeants politiques. Quand Santayana dit que "ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le répéter", et quand Orwell écrivit dans son chef-d'œuvre, 1984, que la maîtrise du passé est la clé pour maîtriser le présent, tous deux avaient à l'esprit l'importance cruciale de connaître les causes réelles des événements politiques.

 

Nietzsche considérait l'erreur de confusion de cause et de conséquence comme la plus dangereuse ; il l'appelait la "perversion intrinsèque de la raison". Ce n'était pas une exagération, compte tenu de l'impact de ce trop commun renversement de causalité. Cette erreur est commise, par exemple, chaque fois que l'État est absous des conséquences néfastes de ses actions antérieures, légitimant ainsi l’introduction de politiques visant à "résoudre" des problèmes dont l’État était lui-même responsable à l'origine.

 

Exemples : Récessions, inflation et chômage

 

À titre d'exemple, il est possible de mentionner les cycles d'expansion et de récession économique, typique du capitalisme d'État. La cause originelle de ce cycle est l'État, par sa politique monétaire monopolistique. Comme Murray Rothbard écrivit ; « le cycle économique est généré par le gouvernement : en particulier, par l'expansion du crédit bancaire favorisée et alimentée par l'expansion gouvernementale des réserves bancaires. » Pourtant, pendant les temps difficiles, parce que cette cause originelle des récessions n'est pas généralement reconnue, la société s’attend à ce que l'État lui-même "sauve" l'économie par des mesures telles que des plans de sauvetage ou des réductions de taux d'intérêt (qui en plus profitent principalement aux grandes banques et aux industries stratégiques). Cela prépare à son tour le terrain pour le prochain boom artificiel, et le cycle continue...

 

Le problème de l'inflation et du chômage élevés peuvent être vus de la même manière. L'inflation des prix est causée par l'État lorsqu'il augmente la masse monétaire pour payer ses déficits budgétaires chroniques, avec l'avantage supplémentaire de réduire l'importance relative de son énorme dette. Pourtant, lorsque les prix augmentent dans l'économie à la suite de telles actions, l'État lui-même est attendu à la rescousse, par exemple en imposant artificiellement des contrôles des prix ou en augmentant les taux d'intérêt, ralentissant ainsi l'activité économique (au détriment de la société).

 

Le chômage élevé est aussi un phénomène causé par l'État, évidemment, lorsqu'il impose un code du travail rigide et une fiscalité confiscatoire sur les entreprises, quand il redistribue des allocations chômage "généreuses", et quand il autorise une immigration de masse non éduquée, pour laquelle il n'y a pas de demande du secteur privé. Pourtant, lorsque le chômage devient « trop » élevé à la suite de ces actions, il est sous-entendu que ce soit État qui résolve le problème du chômage, par exemple en offrant des incitations fiscales aux entreprises pour qu'elles embauchent des travailleurs peu qualifiés ou en embauchant davantage de fonctionnaires.

 

La soi-disant "défaillance du marché "

Il semble contre-intuitif de penser qu'un agent qui est responsable de problèmes sociaux devrait forcément aussi être le plus à même à résoudre ces mêmes problèmes. C’est pourtant ce qui se passe. La seule raison pour laquelle cette aberration continue d'être acceptée est à cause d'erreurs de causalité. Les causes réelles des problèmes économiques ne sont pas bien comprises par le grand public et sont souvent confondues avec leurs conséquences. En économie, ce mépris des liens de causalité a probablement engendré autant de dommages à la société que les conflits internationaux susmentionnés, en laissant libre cours à ceux qui ne voient que peu de limites à la régulation de la vie économique et sociale par l'État.

Le même raisonnement s'applique à l'aspect qui est habituellement imputé au libre marché ; les "externalités", i.e. les coûts "externes" que les tiers supportent parfois. Le cas extrême de ceci est le phénomène de «  tragédie des biens communs », qui est souvent utilisé pour justifier une panoplie d’initiatives étatiques « vertes » pour « lutter » surtout contre le changement climatique. Indépendamment de la question de savoir s'il existe des motifs apocalyptiques pour soutenir de telles politiques sociales extrêmes venant des sommets du pouvoir politique, le point de vue libéral est que la cause réelle de l’existence des "externalités" est une définition inadéquate, ou même manquante, des droits de propriété en question.

Comme l’importance de la causalité est négligée, les problèmes sociaux et économiques tels que ceux mentionnés ci-dessus sont généralement attribués à la « défaillance du marché », ce qui réduit la crédibilité du libéralisme auprès du grand public. En effet, le libéralisme de Ludwig von Mises est généralement rejeté par la majorité en tant que système politique et économique, parce que les problèmes sociaux sont attribués à tort à une incapacité du libre marché de fournir des solutions. Il y a rarement de compréhension que les causes réelles de ces problèmes sont les interventions étatistes sur le marché libre en premier lieu.

Les libéraux ont toujours reconnu l'importance de la causalité, comme l’implique le titre du chef d’œuvre de Mises, « L’Action Humaine ». Carl Menger, le fondateur de l'école autrichienne d'économie, mentionna explicitement avoir "consacré une attention particulière à la recherche des liens de causalité" comme un moyen important de mieux comprendre les processus économiques. Il faut noter d’ailleurs que c'était une position plus générale de l'époque, non seulement de l'école autrichienne ; "la recherche de ces lois causales de la réalité a été une entreprise internationale parmi les économistes dans le dernier quart du XIXe siècle et jusqu'à la Première Guerre mondiale." Toutefois, pour plusieurs raisons, l'accent mis sur les liens de causalité dans la recherche économique a ensuite été perdu.

Comme cet article a essayé de montrer, il est essentiel que la causalité en économie et en politique soit mieux comprise par le grand public. C'est une des clés pour freiner les dérives de plus en plus autoritaires des gouvernements, qui ont lieu dans tous les domaines. Une meilleure compréhension des liens de causalité conduirait à une augmentation de la popularité du libéralisme, en démontrant que le marché n’est défaillant que lorsqu'il est constamment perturbé par l'intervention de l'État.

 

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