Le revenu universel, passeport pour la médiocratie

"Benoit Hamon vient de connaître un cuisant échec au premier tour de l'élection présidentielle. Pourtant, il avait triomphé à la primaire de la gauche avec sa proposition attrape tout de "revenu universel": entre ces deux échéances , on constate donc que les électeurs se sont ressaisis." Il s’agissait de verser à chaque Français un revenu d’existence mensuel indépendamment des conditions de ressources, et sans obligation de travail. Evidemment, chacun se demande comment une telle mesure pourrait être financée, puisque selon les chiffres avancés il s’agirait de montants à verser par le Trésor de 300 à 400 milliards d’euros chaque année. On est en pleine utopie et son adversaire dans cette primaire socialiste, Manuel Valls qui par son parcours disposait de bien plus d’atouts que Benoît Hamon pour emporter cette élection, a été largement battu. Il critiquait sévèrement ce projet irréaliste. On sait bien que le vice principal de la démocratie est la démagogie, et cette élection en est à nouveau l’illustration. Les critiques qui ont été faites à ce projet se sont seulement situées au plan économique. Les observateurs de la vie politique ne sont pas allés au fond des choses et cela est bien regrettable car il s’agit avant tout d’un problème de choix de société. Ce débat ayant été totalement escamoté, nous voudrions donc, ici, l’ouvrir en nous en référant à des spécialistes des sciences humaines qu’il est utile d’appeler ici à la rescousse. Notre civilisation occidentale est constituée de deux rameaux depuis la migration au XVIIème siècle des premiers pèlerins qui, transportés par le May Flower allèrent créer en Amérique la colonie de Plymouth : le rameau européen, d’un côté, et de l’autre le rameau américain constitué des Etats-Unis et du Canada. Comme nous l’ont enseigné les historiens des civilisations, toutes les civilisations ont un cycle de vie, comme les organismes vivants, constitué de quatre phases : naissance, développement, maturité et déclin. Et Toynbee y a rajouté la décomposition, en fin de parcours. Où en sommes-nous donc, à présent, sur chacun de ces rameaux ? Le rameau européen s’est développé d’une façon tout à fait extraordinaire avec le siècle des Lumières et la révolution industrielle. Est venue, ensuite, la phase de maturité, puis la civilisation occidentale européenne est entrée dans sa phase de déclin au lendemain de la dernière guerre mondiale. Le rameau américain, lui, ne se trouve pas encore dans sa phase de déclin : on peut considérer qu’il est toujours dans sa phase de maturité. Il faut bien voir que les civilisations déclinent comme l’a expliqué Caroll Quigley, grand historien américain des civilisations, lorsqu’elles cessent de disposer d’un levier d’expansion, celui-ci pouvant être de diverses sortes : militaire, religieux, économique, culturel… On voit bien que le rameau européen ne dispose plus d’aucun levier de ce type, alors qu’il en a eu de très puissants dans sa phase d’expansion. La société européenne est une société qui est aujourd’hui en perte de repères car elle a subi un retournement des valeurs. Elle a fait, en effet, au XVIIIème siècle avec la Révolution française de 1789, ce que le philosophe Marcel Gauchet a appelé « une sortie de religion ». Quelles sont donc les caractéristiques de notre civilisation européenne déclinante ? De très nombreux auteurs, des sociologues et des philosophes, ont fait des analyses poussées de l’état de délabrement de notre société, une société marquée par l’individualisme, la perte des valeurs traditionnelles, la domination de l’argent, la frénésie de la consommation, l’hédonisme, la rupture des liens sociaux,… Paul Valery, déjà, avait fait en son temps le constat suivant : « L’individu se dissout dans l’anonymat de la masse qui lui impose sa façon de penser selon les dogmes en vigueur ». Le philosophe Jean François Mattei, dans son ouvrage posthume intitulé « L’homme dévasté » expliquait en visant tout particulièrement des philosophes comme Jacques Derrida que « les idéologues de la déconstruction veulent rompre avec la culture de l’Occident. Une fois que la déconstruction est achevée, il ne reste plus que le néant ». Nietzsche avait bien prévu que la mort de Dieu ne serait que le prélude à la mort de l’homme, « un homme sans étoile, sans racine, sans généalogie ». Pour s’extraire de cet état il faut, disait Nietzsche, que l’homme se révolte. L’individu dans nos sociétés occidentales n’a plus que des droits : on est arrivé à la primauté absolue de l’individu sur le groupe. Notre société hédoniste et individualiste se focalise sur les désirs de l’individu réduit à être un consommateur. On est dans l’instant présent, et l’État répond à des attentes, des angoisses, comme un médecin distribuant des anti-douleurs faute de pouvoir soigner la maladie. Les jeunes se victimisent. Ils fuient l’effort : la culture générale est un savoir inutile, la grammaire et l’orthographe sont des contraintes périmées, et ils considèrent que c’est un droit fondamental d’avoir des examens adaptés à leur ignorance. Aussi un philosophe moderne comme Michel Onfray dans son livre « Décadence » n’a-t-il pas hésité à poser la question, après une fresque d’une ampleur impressionnante allant de Jésus à Daesch : « Et si la civilisation judéo-chrétienne avait vécu ? ». Instaurer dans notre société qui est dans sa phase de déclin le revenu universel c’est stimuler les attitudes et comportements qui sont cause de la perte de vitalité de cette société. Fondée sur un socle judéo-chrétien notre société a toujours valorisé l’effort et le travail. Dans le christianisme l’homme par son travail collabore à l’œuvre du Créateur : par son travail, il sert Dieu et son prochain. Le travail, pour les chrétiens, est le chemin de la rédemption. Aussi la paresse fait-elle partie de sept péchés capitaux. Le protestantisme, avec Luther, a fait du travail l’un des piliers de la prospérité d’une nation. Luther a étendu à l’exercice des professions, quelles qu’elles soient, la dignité spirituelle et religieuse qui était jusqu’alors reconnue aux prêtres et aux moines. L’oisiveté, en morale protestante, a toujours été considérée comme un vice particulièrement répréhensible. Aussi Max Weber dans son fameux ouvrage « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » a-t-il montré que l’ethos protestante est à l’origine du succès du capitalisme, avec le culte du travail et le sens de l’épargne qui caractérisent les tenants de cette religion. Ainsi donc, dans la civilisation occidentale, la paresse et l’oisiveté sont-elles considérées comme des vices : c’est le dur labeur qui est une vertu. Il apprend la persévérance, le sens de l’effort, la concentration, la ténacité et il oblige à être patient, à discipliner nos désirs. Il développe l’humilité. Travailler c’est accéder à la dignité. Avec l’instauration d’un revenu universel accordé sans condition de travail, on se positionne donc aux antipodes des valeurs qui ont fait le succès mondial de la civilisation occidentale. Le risque est grand d’inciter bon nombre d’individus à se cantonner dans l’oisiveté. S’en remettre au travail des autres pour satisfaire ses besoins est indigne, et dévalorisant pour l’homme. Nous conclurons en citant cette pensée de Pascal : « Rien n’est plus insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaires, sans application. Il sent alors son néant, son vide ». Puisse donc Benoît Hamon ne pas rajouter aux tares qui minent notre société cet ingrédient supplémentaire que serait le revenu universel inconditionnel. N’oublions pas cet avertissement d’Arnold Toynbee, l’une des plus grandes figures intellectuelles et humanistes du XXème siècle, qui avait conclu suite aux travaux qu’il avait effectués toute sa vie durant sur les civilisations : « Les civilisations ne sont pas assassinées, elles se suicident ». L’instauration d’un revenu universel concourrait incontestablement au suicide de notre civilisation. Par Claude Sicard, le mercredi 15 février 2017



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