L’environnement : problèmes publics, solutions privées

L’environnement : problèmes publics, solutions privées Par Thierry Lavoux Depuis l’émergence des politiques de l’environnement, l’État dispose aujourd’hui de nombreux instruments d’intervention que la littérature académique, et économique en particulier, classent le plus souvent en trois catégories : ➢ les instruments « command-and-control » (hard power) tels que la norme (lois et règlements), la planification, l’obligation, l’interdiction, la certification, etc. ➢ les instruments incitatifs tels que les taxes, la subvention, les mécanismes de marché, le contrat, la concession, l’assurance, etc. ➢ les instruments « souples » (soft power) tels que l’information, les campagne de sensibilisation, l’éducation, la recherche, les accords volontaires, etc. D’abord initiée au plan national avec la création du ministère de l’environnement en 1971, cette politique s’est rapidement internationalisée dans le cadre européen avec l’adoption dès les années 1970 des « directives » européennes qui s’appliquent dans tous les Etats-membres charge leur étant donnée de transposer dans leur droit national les normes ou obligations qui y sont attachées. Désormais, le corpus législatif européen (300 directives et règlements environ) couvre tous les domaines de l’environnement : pollution et qualité de l’air, pollution et qualité de l’eau, déchets, biodiversité, études d’impact, sécurité industrielle, etc… Il n’y a donc plus beaucoup de marges de manœuvre nationale pour concevoir des règles sortant du socle européen. Il n’en demeure pas moins que les Etats, s’ils ont une obligation de transposition dans leur ordre juridique interne, restent libres des moyens pour mettre en œuvre les obligations découlant des directives. Certains pays ont par exemple choisi de façon préférentielle des outils de marché, par exemple une fiscalité incitative (cas de l’Allemagne ou de la Suède) appliquée aux déchets ou à la pollution de l’air tandis que d’autres continuent de privilégier des solutions réglementaires se traduisant par des textes (décrets, arrêtés, circulaires) qui prescrivent des interdictions (chasse, prélèvements) ou des protections (espaces naturels, espèces protégées). Si l’on prend l’exemple de la protection de la biodiversité régie par la directive européenne sur les Habitats (les écosystèmes dans lesquels se trouvent des espèces végétales et animales fragiles donc nécessitant une protection par chaque Etat-membre) ou sur les Oiseaux migrateurs (périodes de chasse prévues pour ne pas obérer la reproduction des espèces et protection des écosystèmes où elles vivent), les Etats ont eu le choix entre des instruments intégrant les droits de propriété (le Royaume-Uni) par le biais de conventions de gestion librement consenties entre propriétaires (conservancy easements) et des outils de protection classiques : dans ce cas les zones à protéger le sont par des outils réglementaires définissant des interdictions de faire (contraintes sur l’agriculture et l’élevage dans les zones humides par exemple). L’administration de l’environnement est chargée du contrôle régalien (police de l’eau, police de la chasse, etc) et peut sanctionner les agissements contraires aux règles définies. Si dans le cas de l’utilisation des droits de propriété ou des conventions de gestion, l’intervention administrative est minimale puisqu’on laisse aux acteurs privés le soin de contractualiser entre eux des comportements compatibles avec la protection des milieux, dans l’autre cas de figure, la puissance publique mobilise des moyens en personnel et en budget d’intervention parfois importants. L’essentiel est de parvenir à des résultats probants mesurables par des évaluateurs objectifs et ce à des coûts modérés. Pour le vérifier, on peut mettre en balance les budgets publics engagés pour protéger la biodiversité et les revenus monétarisés d’activité anthropique ( gains obtenus par le maintien de la capacité épurative de milieux naturels comme la forêt qui peut équivaloir à une station d’épuration par son rôle de filtration) qui ont ainsi pu être générés par l’application d’une normative. Mais la possibilité offerte par des instruments contractuels avec une très faible participation de l’Etat, et donc des dépenses publiques très faibles, est de plus en plus mise en valeur. Deux raisons à cela : des économies budgétaires et de personnel et une efficacité mesurable. Si l’on quitte le terrain de la biodiversité pour visiter celui de la pollution de l’eau ou de l’air, nous avons un choix de solutions identiques avec des instruments « command and control » classiques : les rejets industriels, pour prendre cette exemple, ne doivent pas dépasser tel ou tel niveau, substance par substance, un arrêté préfectoral le spécifiant. L’alternative consiste également à fixer des objectifs de résultat à l’entrepreneur tout en taxant ses rejets polluants. Pour diminuer le prix à payer, l’industriel aura intérêt à s’équiper de dispositifs anti-pollution grâce auxquels sa redevance (cas théorique des agences de l’eau en France) va être progressivement réduite. Ce cercle vertueux ne peut fonctionner que si la taxe ou la redevance est placée à un niveau suffisamment incitatif, sinon l’entrepreneur préférera polluer tout en payant une taxe résiduelle à l’administration. Certains pays, du nord de l’Europe pour l’essentiel appliquent des taxes élevées pour obtenir des résultats satisfaisant pour l’environnement, d’autres, et c’est le cas de la France, fixent des taux assez bas qui ne constituent pas une incitation claire pour convaincre l’industriel d’intégrer à son process de production des dispositifs moins polluants(cas des « boues rouges » à Gardanne). Ce principe appelé « Pollueur-payeur » a été introduit dans les Traités européens et ne pose plus de question théorique. En revanche, comme on l’a vu dans les exemples susmentionnés, son application concrète peut singulièrement varier selon que l’administration souhaite garder une part d’initiative en négociant les normes avec l’industriel (exemple français) soit qu’elle se contente de fixer une redevance de type incitatif (pays du Nord). Une troisième voie, reposant essentiellement sur le dialogue et la négociation entre acteurs économiques administration consiste à concevoir des « contrats de branche » entre une branche industrielle et l’administration, par lesquels les entreprises s’engagent à diminuer leur pollution selon un échéancier et grâce à des aides fournies par la puissance publique. La France a recouru à ce type de négociation avec l’accord « Amiante-Ciment » et l’accord « Papeterie » mais devant les risques juridiques (dérogations pour appliquer les seuils de pollution accordées pour certaines entreprises entre autres) l’administration y a renoncé à la fin des années 1970. Aux Pays-Bas, les ministères recourent encore à ces instruments de dialogue mais la culture administrative de ce pays est très différente de celle de la France basée tantôt sur la coercition, tantôt sur le laxisme ! En résumé, les politiques de l’environnement restent encore très marquées du sceau de l’interventionnisme, même si, comparativement à d’autres politiques publiques leur coût reste mesuré (environ 0,6 % du PIB). Les statistiques sur les dépenses engagées en France pour la protection de l’environnement qu’il s’agisse des ménages, des acteurs industriels ou des collectivités publiques montrent une hausse continue favorisée par les évolutions réglementaires décidées par les pouvoirs publics, qui sont elles-mêmes impulsées par la croissance des préoccupations environnementales de la société. En effet, les dépenses de protection de l’environnement dépendent souvent de contraintes légales, découlant elles-mêmes fréquemment de directives ou de règlements européens. Ceux-ci imposent le respect d’un calendrier, comme par exemple une mise aux normes d’équipements industriels avant une date donnée. A ceux qui s’interrogent sur l’apport des solutions libérales pour prendre en charge les questions environnementales, je répondrais comme Max Falque (ICREI) qu’il « Il serait naïf de prétendre vouloir régler la crise environnementale par le seul recours au marché et aux droits de propriété. Et cela serait-il le cas, que la mise en œuvre et le contrôle de ces outils relèvent précisément de l'Etat. Mais, celui-ci a mieux à faire puisqu'il se doit par nature d'intervenir partout où l'on rencontre des biens publics purs (dont la production ne peut être assurée par le marché) et lorsque ne peut être réglé le problème des externalités. Enfin, la tâche la plus importante de la puissance publique est de procéder à un examen de conscience systématique pour éliminer les effets pervers de ses actions sur l'environnement et mettre sur pied des mécanismes d'évaluation et de contrôle à même de réguler ses inévitables interventions » ; A cet égard, et pour conclure, on ne peut rester indifférent aux incohérences de l’action bureaucratique. A titre d’exemple, les financements de la politique agricole commune conduisent à des pollutions d’origine agricole (pesticides, nitrates, suppression d’éléments de paysage) elles-mêmes combattues par des règlementations et des budgets publics ! Dans un autre domaine, celui du droit d’occupation des sols codifié par un Code de l’urbanisme de plusieurs centaines de pages, les incohérences se bousculent qui débouchent sur une conception de l’aménagement de l’espace désastreux au plan paysager et inégalitaire pour les propriétaires obligés de subir le déplacement arbitraire des valeurs foncières par des élus et des fonctionnaires « qui, distribuant des droits à bâtir et entretenant l'incertitude sur le devenir des patrimoines, achètent des votes et de l'influence » (Max Falque). Thierry Lavoux 10/2016 Membre honoraire du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD).



1 commentaire(s)

  1. […] difficile. Après un bref échange, nous sommes tombés d’accord sur cette formulation : « L’environnement : problèmes publics, solutions privées ? » Dans un mail, il précisait sa pensée : « L’idée principale que je voudrais voir […]


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