L'Europe, confédération ou super-État ?

L'Europe, confédération ou super-État ?

Samedi 8 Juin, le professeur Jacques Garello est venu de Marseille en voiture pour nous parler de l'Europe, montrant ainsi une fois de plus qu'il n'hésitait pas à se dépenser sans compter lorsqu'il s'agissait de promouvoir les idées de liberté et de responsabilité individuelles. Son rôle éminent dans la défense contre l'invasion de l'Université par les thèses dirigistes ou collectivistes fut rappelé par Jacques de Guenin, qui compara ce combat minoritaire et jamais terminé à celui d'Asterix contre les Romains. C'était la deuxième fois que Jacques Garello venait au Relais du Pavillon. La première était en 1983, à l'occasion d'un "pèlerinage" à Mugron effectué par quelques économistes français de grand renom, afin de rendre hommage à Frédéric Bastiat ! Quelques années plus tard, il allait lui rendre un nouvel hommage : dans le cadre de ses fonctions de président de l'"Institute of Humane Studies-Europe", branche européenne d'une fondation américaine qui organise des séminaires de formation en sciences humaines, Jacques Garello fut l'un des acteurs de la renaissance du fameux "Journal des Économistes", dans lequel écrivait Frédéric Bastiat, et qui est redevenu aujourd'hui comme autrefois l'une des meilleures revues européennes de sciences economiques et sociales. L'atmosphère était attentive et chaleureuse. Il y avait sept ou huit nouveaux visages, et l'on comptait parmi les convives des personnes venues du Gers, des Hautes Pyrénées, et même de Paris, témoignant ainsi de la vitalité et du rayonnement croissant de notre cercle. Comme d'habitude, le résumé qui suit tient compte à la fois de l'exposé et du débat, mais il est impuissant à traduire la richesse et la cordialité de ce dernier, dues aux qualités de communication de Jacques Garello, et à sa grande expérience des journalistes et des hommes politiques. Jacques Garello connaît bien l'Europe, celle de l'Ouest et celle de l'Est, pour la sillonner constamment, et pour attirer à l'Institute of Humane Studies, comme à l'Université d'été d'Aix-en-Provence, l'élite intellectuelle libérale européenne. Avec quelques collègues des plus grandes universités européennes, il a rédigé le "Manifeste pour l'Europe des Européens", déjà signé par plus de cinq cent universitaires ainsi que de nombreux dirigeants et membres de professions libérales, manifeste qui a été distribué au cours de notre soirée. Jacques Garello a opposé trois conceptions de l'Europe : L'Europe de Bruxelles. C'est l'Europe bureaucratique, qui ne veut libérer les échanges qu'après avoir "harmonisé" les législations des États-membres. Chaque État voulant garder l'essentiel de ses particularités réglementaires et fiscales, cette approche risquerait d'être longue, et d'aboutir à la règlementation et à la fiscalité maximum. Elle paverait la voie à un Super-État qui constituerait, pour nous Français, l'ultime strate administrative coiffant celles de la Commune, du Département, de la Région, et de l'État ! L'Europe de Bruges. C'est l'Europe de Margaret Thatcher, ainsi nommée par référence au fameux discours de Bruges de l'ancien premier ministre britannique. Ce serait certes une Europe beaucoup plus libérale que la précédente : "Je n'ai pas fait reculer l'État en Angleterre pour le rétablir au niveau européen", disait cette grande femme d'État. Mais ce serait une Europe d'États-Nations, et l'on sait de quel mépris de l'individu et de quelles hécatombes les États-Nations se sont rendus coupables au cours de l'histoire. Jacques Garello respecte la notion de Nation, communauté de gens de même culture et de mêmes traditions, et il voit parfaitement les nations européennes se cordonner entre elles dans une confédération à l'image de la Suisse, qui respecte les particularités de ses cantons, ainsi que la liberté des individus de vivre et de se regrouper comme ils l'entendent. Mais la conjugaison autoritaire des concepts d'État et de Nation a été la cause des pires détresses et des plus horribles massacres qu'ait connu l'Humanité. Voilà pourquoi la préférence du professeur Garello va à L'Europe de Mugron, ainsi nommée par lui en hommage à Frédéric Bastiat, qui avait sur ce sujet, comme sur tant d'autres, des vues si sensées et si prophétiques. Cette Europe s'appuie, en les accentuant, sur les quatre libertés fondamentales énoncées dans le Traité de Rome : le libre échange des biens, la libre circulation des services, des capitaux et des hommes (incluant la liberté d'établissement). Ces libertés sont suffisantes pour aboutir à l'union par les échanges, à l'harmonisation des règlementations et des ficalités par la compétition entre les États sous la pression de ressortissants et d'entreprises libres de s'installer où ils le veulent, et à la prospérité par l'utilisation optimum des ressources sous l'action de la concurrence. Ce n'est pas par une "charte sociale" imposée du haut, figeant les situations acquises, et rendant non compétitives les régions les plus pauvres, que l'on assurera la meilleure protection sociale à tous les européens. C'est en permettant le libre choix des individus entre les différents systèmes privés et publics d'assurances et de retraites. Ce n'est pas en confiant la gestion d'une monnaie unique à une banque centrale, soumise à tous les compromis entre les États, que l'on aboutira à une monnaie stable. On y aboutira en laissant aux individus et aux entreprises la libre utilisation des différentes monnaies existantes, y compris l'Écu, qui se feront ainsi concurrence. L'obstacle le plus pernicieux à l'ouverture des frontières est l'existence de normes techniques par pays, et là encore la recherche d'une norme unique européennne serait un travail gigantesque et jamais terminé. De ce point de vue l'"Acte Unique", qui impose aux différents États la reconnaissance mutuelle de leurs normes (avec, hélas, de nombreuses exceptions), représente un progrès si décisif que l'on peut se demander si les hommes de gouvernement qui l'ont signé étaient bien conscients de sa portée. Il reste à en supprimer les exceptions. Sur le plan des institutions, ce n'est pas de la France jacobine qu'il faut s'inspirer : l'esprit de la constitution française est d'attribuer des pouvoirs au gouvernement, contrairement à l'esprit des constitutions anglo-saxonnes qui cherchent à garantir les droits individuels contre les tendances autoritaires des gouvernements. Mais ces dernières sont loin d'être parfaites : elles ont certes freiné, mais pas complètement empêché, l'extension continue du pouvoir exécutif. L'Europe serait bien inspirée de regarder du côté de la Suisse, où cohabitent dans la paix et la prospérité les entités humaines les plus disparates sur le plan des langues, des religions, et des traditions, où les libertés individuelles sont farouchement protégées par diverses dispositions constitutionnelles contre les tentations constructivistes du gouvernement fédéral. Il faut éviter que l'Europe ne serve aux politiciens à multiplier ou à renforcer des institutions usurpatrices des libertés individuelles. Le monopole d'un gouvernement, ou même d'un parlement européen, n'ajoute rien à la démocratie, mais y soustrait. Il faut au contraire favoriser la protection des droits individuels des Européens. Une cour suprème européenne, résultat de la fusion des cours de Strasbourg et de Luxembourg, devrait découvrir progressivement, à travers une jurisprudence évolutive, les principes de droit en mesure de s'imposer. Comme en Suisse, les citoyens devraient avoir la possibilité de faire respecter les libertés fondamentales exprimées dans le traité de Rome contre toute personne ou institution, publique ou privée, qui les menacerait. Soyons vigilants. L'Europe telle qu'elle se dessine aujourd'hui constitue un immense espoir pour les libéraux, surtout depuis que l'on connait les véritables résultats des expériences étatistes à l'Est. Mais ne laissons pas les hommes de pouvoir disposer à leur guise de l'évolution des institutions européennes. Ils ont trop à perdre de l'extension de nos propres libertés.



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