L'Europe, la France, les "migrants" : sortir de l'impasse

La problématique des migrations est un sujet d'ordre mondial, européen, national et local. C'est surtout un sujet qui va accompagner tout le XXIe siècle. Nous sommes dans une période de grande mobilité : le monde bouge plus que dans le passé et continuera à bouger quelles que soient les politiques migratoires mises en œuvre. Catégories de migrants et flux migratoires Actuellement, 3,5% de la population mondiale est en situation de migration internationale, pourcentage faible qui indique que si effectivement le monde bouge, c'est encore modérément. Qu'est-ce qu'un migrant international ? La définition précise donnée par les Nations Unies le caractérise comme une personne née dans un pays et qui vit dans un autre pays que celui de sa naissance. Sur 7 milliards d'habitants, on dénombre ainsi 244 millions de migrants internationaux. A cette catégorie s'ajoute celle des migrants internes, c'est-à-dire les personnes qui migrent dans leur propre pays et qui représentent 740 millions d'individus. En tout, 1 milliard de personnes sont donc en situation de mobilité. Si l'on prend l'exemple de la Chine, le nombre de migrants internes s'élève à 240 millions de personnes, soit à peu près autant que de migrants internationaux à l'échelle de la planète. Peu de régions dans le monde sont épargnées par la situation migratoire. Beaucoup de pays de départ sont devenus des pays d'accueil. C'est le cas des pays de l'Europe du Sud, de la rive sud de la Méditerranée (Maroc, Turquie), mais aussi du Mexique. Le débat sur le statut des migrants (sont-ils oui ou non des réfugiés ?) est un faux débat. Nombre de gens ayant un statut de réfugiés viennent en effet pour travailler, alors que d'autres viennent pour travailler sans être fondés pour demander l'asile, et que d'autres encore arrivent dans le cadre du regroupement familial et vont entrer sur le marché du travail. Ainsi les grandes catégories juridiques du passé qui distinguaient les travailleurs, les familles et les réfugiés sont bouleversées par des profils qui aujourd'hui correspondent à plusieurs catégories en même temps. Le système juridique basé sur ces catégories est donc obsolète et non adapté à cette nouvelle réalité. Autre nouveauté de ce siècle : les gens vont autant vers le sud que vers le nord de la planète. 120 millions de gens migrent vers le Nord, chiffre légèrement supérieur pour les déplacements vers le Sud. Le Sud est devenu une importante destination migratoire. C'est dû aux crises politiques, pour lesquelles on constate des déplacements de réfugiés Sud-Sud ; aux déplacés environnementaux, estimés à 42 millions aujourd'hui (on en prévoit de 150 à 200 millions à la fin de ce siècle) ; aux nouveaux profils de travailleurs qui se déplacent du Sud au Sud. Il ne faut pas oublier que les pays du Golfe sont la troisième destination migratoire au monde et reçoivent essentiellement des migrants du sud. Les migrations de voisinage contribuent aussi au renforcement du Sud comme destination migratoire. Enfin les pays émergents, comme le Brésil, l'Inde, l'Afrique du Sud, la Chine sont des pays d'immigration. Quelques facteurs de mobilité Ces migrations sont structurelles. Phénomène lent et continu (depuis 1975, le nombre de migrants a été multiplié par quatre), il se poursuivra dans les années à venir. Les raisons à ces déplacements sont profondes et structurelles aux sociétés de départ et peuvent être classées ainsi : Les inégalités du développement humain Des critères précis ont été définis pour quantifier cette inégalité. Amartya Sen, prix Nobel d'économie indien (1998), a choisi trois indicateurs essentiels que sont l'espérance de vie à la naissance, le niveau de vie et le niveau d'éducation. Ainsi selon ces critères, l'Afrique subsaharienne se trouve en bas du classement. La démographie Le vieillissement démographique est fortement présent dans plusieurs pays d'accueil, pour lesquels le seul facteur de croissance de la population repose sur l'immigration. En Europe, sans immigration, la population serait en déclin et son vieillissement accéléré. Ce phénomène est assez généralisé. Les migrants sont souvent plus jeunes que la population de l'ensemble d'un pays. Quelques exemples : en France et en Europe, l'âge médian est de 40 ans, alors qu'il était de 28 ans dans les années 1950. Au Maghreb, il est de 25 ans, et en Afrique subsaharienne, 19 ans. Des populations jeunes, inemployées, de plus en plus urbaines et de plus en plus scolarisées sont extrêmement mobiles de manière générale. Riches et pauvres Il existe de grandes lignes de fracture entre richesse et pauvreté dans le monde et la Méditerranée en est une des plus importantes (d'un point de vue politique, économique, social...). Chaque fois qu'il y a une ligne de fracture, il y a migration. Par leur mobilité, les migrants réduisent ces grandes lignes de fracture. Les riches des pays pauvres peuvent circuler assez facilement car ils entrent dans les catégories légales de la migration. Certains pays européens leur offrent des titres de séjour, s'ils viennent pour investir ou pour acheter des appartements d'une certaine surface. C'est le cas du Royaume-Uni, de la Suisse, de l'Irlande ou du Luxembourg. Ceux qui viennent illégalement sont les catégories intermédiaires. En effet, les populations les plus pauvres ne bougent pas, faute de moyens, de réseaux d'information etc. et les plus riches trouvent d'autres solutions pour migrer légalement. En termes d'inégalité en regard du droit à la mobilité, la plus importante repose sur le passeport que l'on a, donc le pays où l'on est né. Si les Britanniques ou les Finlandais peuvent voyager dans 173 pays sans visa pour une durée de 3 mois, les Russes dans 92 pays, les Afghans en revanche ne peuvent se déplacer que dans une dizaine de pays et les Somaliens et Érythréens sont encore plus restreints. Lorsqu'on est considéré comme un risque migratoire, il reste peu de chances de pouvoir circuler facilement, sans visa. Certains contournent ce problème grâce à la double nationalité. Pour les autres, l'immigration irrégulière reste la solution, immigration qui prospère d'autant plus que les frontières sont fermées. Les fermetures ont un effet peu dissuasif, au contraire, elles favorisent les développements des réseaux de passeurs, contre lesquels il est très difficile voire vain de lutter. Les crises politiques L’Europe est entourée de pays en crise politique au sud et à l'est qui expliquent les problèmes auxquelles elle est confrontée concernant l'accueil des réfugiés. Pour prendre le cas des Syriens, sur 22 millions d'habitants, 5 millions d'entre eux ont quitté leur pays, dont 3 millions sont désormais en Turquie, 1 million au Liban et 600 mille en Jordanie. Le reste est en Europe, principalement en Allemagne. Les autres flux concernent les Afghans, les Irakiens, les Somaliens... dont la destination n'est pas nécessairement l'Europe. La « mode » de la mobilité On dénombre 1 milliard de touristes internationaux sur l'ensemble de la planète. Le tourisme international débloque un nouveau type de migration quand les durées de séjour se prolongent au-delà du délai touristique de 3 mois ou que se produisent des installations définitives « au soleil ». Ce phénomène est en pleine expansion, dans le sud de l'Europe et au Mexique notamment. L'entrée en mobilité des Européens Jusqu'en 2004, les Européens étaient très peu mobiles. 3% d'entre eux travaillaient alors dans d'autres pays européens que le leur. Aujourd'hui, grâce aux étudiants (programmes Erasmus), aux évolutions des cursus professionnels, pour lesquels une expérience à l'étranger est fortement encouragée, aux gens de l'Est tels les Polonais et les Roumains, on assiste à une migration de circulation. Ces migrants ne s'installent cependant pas définitivement car les frontières sont ouvertes. En effet, plus on ferme les frontières, plus se produisent des installations aléatoires de sans-papiers, et plus on ouvre les frontières, plus la circulation migratoire est grande. Le citoyen européen se définit par sa liberté de circuler, de s'installer et de travailler dans les autres pays de l'Union, situation unique au monde. En revanche, les frontières se sont durcies pour les non Européens dans un contexte précis : Schengen en 1995. La crise économique de 1974 a entraîné des flux migratoires non européens plus denses dans les années qui ont suivi. Par cet accord, on pensait mettre fin à ces flux, mais aussi que les Européens deviendraient très mobiles à l'intérieur de l'Europe (ce qui n'a été le cas que beaucoup plus tard) et enfin qu'il y aurait substitution, sur le marché du travail, des Européens aux non Européens. Ces trois assertions sur lesquelles est construit Schengen se sont révélées erronées. Le système de Schengen est très rigide et très strict, contredisant l'idée d'une Europe « passoire », mais non dissuasif. Dans la crise actuelle, la Grèce est le passage le plus emprunté (Thrace), par laquelle on accède à la route des Balkans dans l'espoir d'atteindre l'Autriche, puis l'Italie et l'Allemagne. La Turquie ne donnant pas le statut de réfugié, les migrants en recherche d'un statut stable quittent ce pays pour se rendre en Europe. La prospérité de l'économie du voyage L'économie du voyage prospère. C'est le cas principalement en Libye. Elle était le filtre des migrations subsahariennes vers l'Europe moyennant finance. Cette dernière est uniquement un pays d'accueil, pas d'émigration, car elle est peu peuplée et attire des travailleurs étrangers grâce à la richesse de ses ressources naturelles. Depuis 2011 et le chaos politique qui s'en est suivi, la Libye est devenue le pays des passeurs. Les configurations actuelles La France est le plus ancien pays d'immigration d'Europe car son déclin démographique a commencé le plus tôt, dès la fin du XVIIIe siècle. A cela s'est ajoutée une croissance économique importante sous le Second Empire, puis plus tard pendant les Trente Glorieuses, entraînant un besoin de main-d’œuvre. Dès la deuxième moitié du XIXe siècle, la France a bénéficié d'un apport important de cette main-d’œuvre étrangère (300 000 étrangers en France en 1851, 1 million en 1900, 3 millions en 1930. Aujourd'hui, ce chiffre est de 3,7 millions). Les autres pays européens ont connu cet apport plus tardivement. Londres est la capitale la plus cosmopolite de l'Europe avec 35% de non Européens, et ce phénomène est mondial puisque les grandes capitales deviennent toutes cosmopolites. Chaque pays européen a ses migrants car chaque pays a son histoire. Par exemple, très peu d'Albanais sont présents en France, alors qu'ils sont majoritairement installés en Italie et en Grèce. Le Portugal est lui plus concerné par les migrants d'anciens pays de langue portugaise, tels le Cap Vert, le Mozambique ou encore l'Angola. En ce qui concerne la population Rom, elle est très mobile et très présente en Europe de l'Est. En Roumanie ils sont 2 millions, soit 10% de la population du pays ; ils représentent aussi 10% de la population de la Bulgarie. Ailleurs dans le monde, une autre zone de migration importante se trouve à la frontière entre la Russie et la Chine, avec d'un côté un pays vieillissant et riche et de l'autre un pays très peuplé. Les Chinois se tournent massivement vers la Russie, émigration crainte par les Russes qui provoque de véritables confrontations. La Turquie est le plus grand pays d'émigration en Europe. On y dénombre ainsi 4,5 millions de Turcs. Cependant son solde migratoire est négatif, c'est-à-dire que les Turcs sont plus nombreux à retourner en Turquie qu'à la quitter pour l'Europe. Les déplacements environnementaux concernent le sud de la planète, surtout des pays très pauvres. Quelques critères sont spécifiquement liés aux changements climatiques : élévation du niveau des mers, désertification, fonte des glaciers, inondations, dégel, qui auront pour certains des effets importants en termes de migration. Les 42 millions de migrants dans cette situation n'ont actuellement aucun statut. Le Bangladesh est le pays le plus menacé au monde, par la fonte des glaciers de l'Himalaya entre autres. Pour se protéger d'un afflux de migrants en provenance de ce pays voisin de 150 millions d'habitants, l'Inde a édifié un mur de près de 9000 kilomètres à leur frontière commune. D'une manière générale, les géants démographiques se trouvent en Asie. Les Philippines sont elles-aussi un grand pays de départ. 1 Philippin sur 10 vit à l'étranger. En Amérique, la frontière entre le Mexique et les États-Unis est une zone de tensions, notamment à cause de l'hispanisation croissante des États du Sud, entraînant l'émergence d'un mouvement, le Nativisme, en réaction à cette hispanisation. Le Mexique lui-même devient un pays de transit, avec un solde migratoire négatif. Beaucoup de Mexicains reviennent en effet dans leur pays. Quant à l'Amérique du Sud, elle est marquée par les migrations andines (Pérou, Bolivie etc.) vers le Brésil, l'Argentine etc. Le phénomène est donc mondial. Paradoxalement, les migrations sont de plus en plus régionalisées, et cette régionalisation s'est accélérée. Plusieurs facteurs en sont la cause : • la féminisation des migrations. Si les femmes représentent désormais 50% des migrants, elles vont cependant moins loin que les hommes. • la présence de plus en plus importante de mineurs isolés non accompagnés. Tout comme les femmes, ils restent essentiellement dans une même région. • les déplacements environnementaux. Ils touchent spécifiquement les plus pauvres, restreints dans leur possibilité de déplacement faute de moyens. • les réfugiés. Ces derniers se tournent vers les pays les plus proches, les pays voisins. Ces nouveaux profils encouragent la régionalisation des flux dans un contexte global de mobilité accrue. L'urbanisation de la planète a des conséquences sur les migrations. La ville est le point de départ de la migration internationale et le point d'arrivée de la migration interne. Elle entraîne aussi une plus grande scolarisation qui encourage la migration par rejet d'un certain fatalisme. En ce qui concerne les flux financiers liés aux mouvements de personnes, ils s'élevaient en 2015 à 420 milliards de dollars, une somme colossale, près de trois fois supérieure à l'aide publique au développement. Les migrants sont les principaux contributeurs d'aide au développement humain, qui permet entre autres une meilleure éducation et une meilleure santé dans les régions de départ. Certains pays du Sud encouragent cette migration car elle représente une manne en devises considérable : Mexique, Turquie, Maroc, Philippines, Inde etc. sont très dépendants de l'argent des migrants. Conclusion L’Europe a l'impression d'être dans une situation inédite face aux réfugiés, sentiment qui a conduit certains pays d'Europe de l'Est à agir très durement en fermant leurs frontières, entraînant une fracture Est-Ouest dans l'accueil des réfugiés, même si la plupart de ces pays sont finalement très peu concernés. Dans le cas de la France, environ 60 000 demandeurs d'asile ont été recensés ces dernières années. En 2015, ce chiffre est monté à 79 000. S'il y a effectivement une hausse du nombre de demandes, elle n'est cependant pas immense, loin de l'envahissement total craint. De plus, lorsque la France a accepté d'installer sur son territoire 30 000 réfugiés sur 2 ans, très peu d'entre eux sont venus lorsqu'ils ont été approchés en Allemagne où ils attendaient. Pour nombre de Syriens, proches des Turcs, l'Allemagne reste la destination voulue. Selon les destinations et les crises, les migrants sont différents. Pour les Afghans, l'Angleterre reste le but à atteindre. C'est en partie lié aux raisons économiques, mais surtout aux liens entretenus avec les migrants d'autres nationalités. Donc peu de Syriens sont venus en France, ce qui fait que notre pays est loin d'être au cœur de la crise actuelle, au contraire de l'Allemagne, de l'Italie et de la Grèce, ces deux derniers étant pays d'arrivée, principalement sur leurs îles. Pour celles-ci dont l'économie repose essentiellement sur le tourisme, la situation est très compliquée au vu de la faible capacité d'accueil dont elles disposent et de la crainte de perdre leurs touristes. Les populations locales ont été entièrement bouleversées dans leur mode de vie par ces arrivées. L’Allemagne quant à elle a reçu plus d'un million de personnes en 2015. Si cette crise fait beaucoup parler, elle a finalement eu un impact très limité pour la plupart des pays européens dans leur quotidien, à l'exception de quelques points d'arrivée et de réinstallation, comme Calais qui a réuni jusqu'à 6000 migrants. Faute d'accord efficace avec le Royaume-Uni, la France est réduite à « faire la police » pour son voisin, politique qui se paie par le nombre d'électeurs se tournant vers le Front national en réaction à cet afflux local.



4 commentaire(s)

  1. […] La gestion des frontières extérieures de l’Europe, hier secondaire par rapport à la libre circulation intérieure établie par les accords de Schengen de 1985, est devenue l’objectif essentiel. On pensait en effet il y a trente ans, lors de l’adoption de ces accords, que l’ère des migrations de masse était terminée, que les non Européens retourneraient chez eux grâce aux politiques de retour, que la mobilité interne des Européens augmenterait significativement, qu’il y aurait substitution des nationaux et des Européens sur le marché du travail hier occupé par des immigrés nord-Européens et que les politiques de développement des pays de départ seraient une alternative aux migrations. Or, la plupart de ces scenarii se sont trouvés erronés : les Européens ont été peu mobiles pour travailler en Europe jusqu’en 2004, date de l’ouverture de l’Union à dix nouveaux pays européens, il n’y a pas eu de substitution sur le marché du travail compte tenu de la très forte segmentation de celui-ci, les retours, peu nombreux, ont été un échec. Quant aux politiques de développement, elles n’ont pas offert une alternative aux migrations et les quelques initiatives tournées vers la rive sud de la méditerranée (accords de Barcelone de 1995 à 2005, Union pour la Méditerranée en 2007) n’ont pas été en mesure d’offrir un pendant à l’ouverture à l’est de l’Europe. Enfin, des crises telles que celle des grands lacs en Afrique, le conflit de l’ex-Yougoslavie et la crise algérienne ont produit des demandeurs d’asile très éloignés de ceux prévus par la Convention de Genève : des demandeurs aux profils collectifs en raison de motifs sociaux, ethniques, religieux, des victimes de la société civile et non des Etats dont ils provenaient, d’où la plus grande difficulté de prise en compte de leur candidature à l’asile. […]

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