Pour une révolution libérale

Les programmes de nos candidats à l’élection présidentielle ne se ressemblent pas, mais tous prévoient l’intervention de l’État pour réguler l’économie et le social. Aucun n’imagine laisser les Français libres de choisir leur vie, ne comprend que la morosité et l’agressivité de la population française viennent de l’emprise de l’État sur leur vie, que l’intérêt général consiste à respecter autant que possible les valeurs constitutionnelles et que l’interventionnisme est source d’erreurs collectives, d’injustices sociales et d’abus de pouvoir. La compétition électorale à laquelle nous assistons est paradoxale. On espère de nouvelles idées, de nouvelles politiques, mais les candidats reprennent les recettes précédentes qui nous ont conduits dans les difficultés actuelles : on augmente le SMIC, on diminue l’impôt, on taxe la finance pour réguler, on subventionne, on interdit, …, comme si ces gesticulations pouvaient maintenant suffire. Certes, quelques mesures salutaires ont été prises, sous la pression internationale (Über, airBnB, autocars Macron …) ou par nécessité (loi Travail) mais que de contestations et de violences elles ont suscitées en retour ! L’analyse politique sur laquelle ces programmes sont fondés se limite quasiment à l’objectif d’égalité réelle, indispensable suivant certains économistes comme Piketty et Le Bras pour assurer la paix sociale. Cet objectif est contraire à la liberté et l’égalité en droits figurant dans la Constitution, qui créent automatiquement des inégalités. Il n’est pas étonnant que des revendications sociales, et non la paix sociale, apparaissent dès que la richesse individuelle résulte plus de la redistribution des richesses de tous que d’un effort individuel ! Ces revendications se manifestent chez certains de façon violente : des groupes masqués et armés font la guerre à la démocratie, certaines banlieues sont incontrôlables, les oppositions à l’autorité de l’État se multiplient. Comprend-on réellement la signification de cette violence, qui va jusqu’à mettre le feu à des camions de pompiers ? Va-t-on briser les vitres des appartements bourgeois de Paris ? Ne nous leurrons pas : la situation est dangereuse, et pourrait évoluer à long terme vers la prise du pouvoir par un homme charismatique n’hésitant pas à user de la force. L’origine de la crise est culturelle, et les difficultés économiques et financières que rencontre la France en sont des conséquences. Résoudre celles-ci ne fera pas disparaître celle-là. Les revendications présentent systématiquement les progrès sociaux comme le résultat des luttes sociales. Elles sont en réalité le résultat de l’accroissement des richesses depuis la révolution industrielle. Globalement, les progrès sont évidents et tout le monde en a profité. D’où viennent ces progrès, si ce n’est, comme l’explique Jean-Philippe Delsol dans son essai L’injustice fiscale (Desclée de Brouwer, 2016), des valeurs humanistes héritées de la Grèce antique, de Rome et d’Israël, reprises par les hommes d’Église et les théologiens chrétiens du Moyen-Âge, modernisées par les Lumières et imposées aux pouvoirs politiques en France à partir du XVIIIe siècle ? D’où vient la crise culturelle que nous traversons, dénoncée dès les années 1960 par Hannah Arendt, qui se manifeste par le renouveau de l’obscurantisme, la disparition de l’esprit critique, l’intolérance et l’agressivité, si ce n’est de l’abandon progressif de ces valeurs sous prétexte d’un intérêt général qui devrait être au contraire la défense de ces dernières ? L’article 2 de la Déclaration de 1789, préambule de la Constitution, définit le but de toute association politique par « la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. » Pourquoi chercher ailleurs une autre définition de l’intérêt général, sinon pour justifier des entorses à ces droits ? L’article 544 du code civil définit le droit de propriété par « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Que devient ce droit quand, pour assurer l’intérêt général défini par l’égalité réelle, l’impôt prive l’un des fruits de son travail pour les donner à l’autre (et réciproquement !), quand les réglementations sur la propriété immobilière et foncière interdisent à un propriétaire de vendre son bien à un prix convenu avec un acheteur, de construire une maison sur son terrain, et même de couper un arbre qu’il a lui-même planté … ? Quand des quotas fixés arbitrairement empêchent certains d’exercer la profession de leur choix ? La loi sur la liberté d’expression date de 1881 : depuis, les lois mémorielles n’ont eu de cesse que de la limiter, de l’encadrer, d’entraver la liberté de penser, et de provoquer une censure implicite. Qu’ont fait nos élus de ces valeurs qualifiées pourtant d’« imprescriptibles » ? La Constitution a libéré la population de l’oppression, mais cette dernière est revenue, sous une forme morale, par la législation et la réglementation, comme l’avait craint Tocqueville. Que fera le prochain Président, s’il est élu sur les mêmes conceptions de l’action politique ? Aucun des candidats n’aborde le problème de fond créé par la crise culturelle, tous reprennent les mêmes recettes, et veulent gouverner comme on conduit une voiture. On aboutit, comme l’avait prévu Tocqueville, à « un réseau de petites règles minutieuses, compliquées et uniformes à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ». Certains candidats se rendent compte certes de l’absurdité des normes sociales et techniques innombrables imposées aux paysans, artisans, commerçants, industriels …, mais aucun n’a la vue d’ensemble indispensable pour prendre conscience de cette nouvelle forme d’oppression. Enfin, « tandis que les instincts naturels de la démocratie portent le peuple à écarter les hommes distingués du pouvoir, un instinct non moins fort porte ceux–ci à s’écarter de la carrière politique, où il leur est si difficile de rester complètement eux-mêmes et de marcher sans s’avilir. » C’est la prise du pouvoir des faibles, et Tocqueville aurait pu conclure de la façon suivante : « Quand le goût du pouvoir et l’incompétence se retrouvent dans le même individu, la volonté de réussir lui fait perdre sa probité : il se croit le meilleur et se met à tricher. S’appuyant sur les faibles dont il est issu, il substitue l’égalité dans la médiocrité à l’inégalité dans la liberté et le conformisme intellectuel à l’originalité de la pensée. » Les révolutionnaires de 1789 avaient compris que, pour empêcher le retour de l’oppression et de l’ancien régime, il fallait élever le niveau culturel de la population. C’était le rôle attribué à l’école en 1791. Pour faciliter la nouvelle oppression administrative et atteindre l’objectif d’égalité réelle, le rôle attribué à l’école est maintenant d’instaurer l’égalité dans la médiocrité et le conformisme intellectuel. On ne doit pas s’étonner de son échec complet. Dans Un projet social-libéral (éditions Libréchange), je propose de revenir aux textes fondateurs de la démocratie pour redonner aux Français une nouvelle jeunesse, le goût de l’aventure, l’imagination, l’initiative, la prise de risque, pour les libérer du carcan réglementaire et liberticide qu’on leur fait porter depuis bien trop longtemps. C’est une seconde révolution libérale qu’il faut faire.



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