Pourquoi des djihadistes s’attaquent-ils à nos sociétés ?
Après Paris, Londres, Madrid ,Bruxelles, Berlin, Nice…aujourd’hui, c’est l’Espagne qui est à nouveau endeuillée, avec ce très violent attentat perpétré ce jeudi 17 août, à Barcelone, qui a fait 14 morts et une centaine de blessés. Existerait-il un antagonisme fondamental entre Musulmans et Occidentaux ? Et quelles en seraient les causes réelles ? Depuis la fin de la période coloniale, de nombreuses communautés musulmanes viennent s’installer en Europe, et l’on constate que leurs membres exigent tous de conserver leur identité. Pourquoi les membres de ces communautés ne veulent-ils pas s’assimiler à nos sociétés ? Les membres des précédentes communautés qui, dans le passé, étaient venus s’installer en France l’ont fait, sans problème, dès la seconde génération. Pourquoi des musulmans radicalisés commettent ils régulièrement des attentats dans nos pays, souvent très meurtriers, au nom d’ Allah, le dieu de l’islam ? Jamais cela ne s’était produit avec les précédents membres des flux migratoires que nous avons eu à accueillir, et ils furent nombreux.
En 2032, c’est-à-dire dans 15 ans, cela fera 14 siècles que le monde de l’islam et celui de l’Occident s’affrontent. Le Prophète Mahomet est mort à Médine en 632, et, aussitôt, les cavaliers d’Allah s’élancèrent avec fougue à la conquête du monde. En l’espace d’un siècle ils parvinrent à se constituer un empire immense, allant de l’Atlantique à l’Indus, une performance guerrière inouïe, et, cela, pour faire triompher leur foi. Les territoires conquis à l’ouest de l’Arabie étaient tous chrétiens depuis trois siècles déjà, l’empereur romain Théodose 1er ayant proclamé, en 380 de notre ère, le christianisme religion d’État. Depuis lors, les affrontements entre les chrétiens, devenus par la suite ce que l’on a appelé les « Occidentaux », et les musulmans n’ont pas cessé.
Quelles sont les raisons de cet antagonisme profond, un antagonisme qui semble plus fortement ancré dans le tréfonds de la culture des peuples musulmans, et tout particulièrement des peuples arabes, que dans celui des peuples qui constituent aujourd’hui ce que l’on appelle le « monde occidental » ? Elles sont de trois ordres différents :
-antagonisme, au plan doctrinal, entre le monde des chrétiens et celui de l’islam ;
- rivalités hégémoniques entre les deux mondes ;
-blessures profondes d’amour propre, du côté des musulmans.
L’antagonisme, au plan doctrinal :
Il s’agit, là, du message délivré par le Prophète Mahomet qui a indiqué tout de suite aux chrétiens, tout comme aux juifs d’ailleurs, qu’ils étaient, les uns comme les autres, dans la plus profonde erreur. Moïse et Jésus-Christ ont, certes, été, en leur temps, des prophètes, c’est-à-dire des hommes « inspirés par Dieu », mais leurs messages, déclara Mahomet, contiennent de très nombreuses erreurs. Il leur dit que c’était, Lui, le vrai messager de Dieu, puisque le Très- Haut lui a révélé le message divin par l’entremise de l’archange Gabriel. Pour les musulmans, Mahomet a eu directement la parole de Dieu, et son message est donc parfait. Et il n’y en aura plus d’autre. Mahomet a donc appelé les juifs et les chrétiens à cesser de demeurer dans l’erreur, ceci pour leur plus grand bien, afin qu’ils puissent être en mesure de gagner dans l’au-delà le paradis de Dieu. Ceux qui n’accepteront pas de se soumettre seront traités en citoyens de second ordre dans la société, statut particulier qui dans l’islam est nommé statut de « dhimmi ». Certes, puisqu’ils ont le mérite de croire en Dieu,
un dieu qui est le même que celui des musulmans, on leur permettra de pratiquer leur culte, mais discrètement. Il leur sera interdit d’accéder à de quelconques charges importantes dans la société, et ils n’auront pas à porter les armes : aussi se trouveront ils soumis à un régime fiscal plus lourd que celui des musulmans du fait qu’ils ont à s’acquitter de la protection qui leur est accordée. Mais, dans les couches populaires, le Coran n’est pas compris de cette manière : on retient plutôt que le Prophète a accusé les chrétiens, avec leur concept de « Trinité », d’être des « associateurs », et on les combat donc farouchement, en étant convaincus que l’on obéit ainsi aux instructions laissées par le Prophète. Les polythéistes, en effet, sont voués aux gémonies dans l’islam : on n’a pas le droit d’adorer d’autres personnes que Dieu, car Il est unique
Les chrétiens, au cours des siècles, du moins ceux qui ne se sont pas trouvés placés sous la domination musulmane, sont restés fidèles, globalement, au message de Jésus et de la Bible. Ainsi, ces adeptes de la civilisation qui a pour fondement le judéo-christianisme, que les spécialistes appellent la « civilisation occidentale », ont-ils une vision du monde, et, finalement, une manière de penser, qui diffère profondément de celles des musulmans. Ceux-ci ont leur propre civilisation, une civilisation qui a pour fondement l’islam tel qu’il a été révélé à Mahomet à la Mecque et à Médine. Chaque civilisation, nous disent unanimement les anthropologues, a pour fondement une religion : aussi, les tenants des civilisations musulmane et occidentale ont-ils des manières différentes de concevoir le monde et de régler le mode d’organisation de leur société. Avec ces philosophies différentes, on vit ainsi les Occidentaux faire, au XVIIIe siècle, ce que le philosophe Marcel Gauchet a appelé une « sortie de religion » : ils se sont autorisés à se donner à eux-mêmes les lois qui les gouvernent, adoptant comme système politique la démocratie. Les musulmans, au contraire, sont restés dans des sociétés où c’est Dieu qui fixe aux hommes les lois auxquelles ils doivent obéir, et ils condamnent donc sévèrement cette liberté que les Occidentaux ont prise de se donner à eux-mêmes les lois qui les gouvernent. Pour les Musulmans, Dieu seul est le législateur. La coupure, ainsi, entre les deux mondes s’est cristallisée. Dans les pays occidentaux les États sont laïcs, alors que dans les pays musulmans les États ont pour religion officielle l’islam.
Cette coupure entre les deux mondes se retrouve dans les chartes qui régissent les « droits de l’homme » dans chacune des sociétés. Les pays occidentaux ont pour charte la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU du 10 décembre 1948 qui reprend les termes de la déclaration française de 1789, alors que les pays musulmans ont, eux, leur propre déclaration des droits de l’homme où il est stipulé que la charia est la source de référence de ces droits (déclaration adoptée par l’OCI au Caire en date du 2 Août 1990).
Les rivalités hégémoniques, entre les deux mondes :
Le monde de l’islam et celui de l’Occident se sont combattus au cours des siècles pour affirmer leur hégémonie au plan mondial. Ce furent d’abord les musulmans qui, à la mort de leur prophète, s’élancèrent à la conquête du monde : ils allèrent soumettre la Syrie et la Palestine, toutes proches, puis l’Égypte, et ensuite toute l’Afrique du Nord. Un peu plus tard, ils envahirent l’Espagne et ils franchirent les Pyrénées. On les arrêta en 732, à Poitiers. Les chrétiens eurent beaucoup de mal à se ressaisir. En 1095, à l’appel du Pape Urbain II, ils entreprirent d’aller reconquérir la terre sainte des chrétiens et Jérusalem où est le tombeau du Christ. Ce fut une entreprise périlleuse et très difficile. Ils parvinrent néanmoins à prendre Jérusalem en 1099. Ils se trouveront, finalement, chassés de ces territoires par Saladin après qu’ils les eurent occupés pendant près de 300 ans. La Reconquista de l’’Espagne demanda, elle, plusieurs siècles : elle, aussi, avait été inscrite par Urbain II dans les objectifs des Croisades, ce que l’on ignore généralement. Ce fut un épisode long et, là, également, très difficile. Finalement, les chrétiens entrèrent à Grenade en 1492, et le Pape récompensa Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon en leur accordant le titre de « Rois très catholiques ». Pour les chrétiens, cette victoire sur les musulmans les consola de la perte de Constantinople que les Turcs avaient enlevée quelques années plus tôt, en 1453.
Il y eut, ensuite, les invasions turques en Europe orientale, après que Constantinople fut vaincue par Mehemet II. Là, aussi, les chrétiens tentèrent d’arrêter la progression des Turcs en lançant plusieurs croisades «contra turcos »,mais, chaque fois, sans succès, et Soliman le Magnifique arriva ainsi jusqu’à Vienne qu’il assiégea en 1529. Il fallut plusieurs siècles pour les repousser, et, finalement, la Grèce accéda à l’indépendance, grâce à l’aide des grandes puissances occidentales et de la Russie, Ibrahim Pacha devant accepter sa défaite au traité de Constantinople en février 1832.
Ce furent, au XIXème siècle, mais dans l’autre sens cette fois, les conquêtes coloniales des puissances européennes. Plusieurs d’entre elles allèrent conquérir un bon nombre de territoires musulmans. Les Français vinrent s’installer en Afrique du Nord, les Anglais en Égypte et au Moyen-Orient, les Hollandais en Indonésie, les Italiens en Tripolitaine, etc.. Ces grandes puissances européennes imposèrent ainsi leur domination à ces divers pays, mais cela ne fut pas sans difficultés. Les Français mirent près d’une vingtaine d’années en Algérie pour venir à bout de la résistance d’Abd el Kader, et les Italiens à peu près autant de temps pour vaincre les Sénousites, et ce avec un corps expéditionnaire de 50.000 hommes. Au Maroc, la guerre du Rif fut difficile et Abd el Krim, qui avait réussi à battre les troupes coloniales espagnoles, ne rendit les armes qu’en 1926. Toutes ces conquêtes se firent donc au fusil et au canon.
Au siècle suivant, le mouvement repartit dans le sens inverse : les peuples qui avaient été soumis se soulevèrent pour recouvrer leur indépendance. Cela commença avec Mossadegh, en Iran, qui nationalisa en 1951 la compagnie Anglo-Iranian Oil (AIOC). Il y eut, ensuite, le colonel Nasser en Egypte qui réussit en 1955, par un coup de force, à s’emparer du canal de Suez qui appartenait à un consortium franco-anglais. Ainsi, les pays musulmans comprirent qu’ils pouvaient parvenir à obtenir des succès sur les pays européens qui les dominaient. Il faut dire que les puissances européennes s’étaient trouvées considérablement affaiblies par les deux guerres très meurtrières qu’elles s’étaient livrées au cours du vingtième siècle. Et ces luttes pour les indépendances se trouvèrent stimulées à la fois par les États-Unis qui, au lendemain de la première guerre mondiale, avec la doctrine de leur Président Wodrow Wilson, avaient instauré le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et par les soviétiques qui avaient proclamé la lutte contre le colonialisme avec la Troisième internationale fondée en mars 1919. Tous ces peuples qui avaient été colonisés au XIXème siècle parvinrent ainsi, les uns après les autres, à recouvrer leur indépendance, le dernier épisode, celui de la guerre d’Algérie, ayant particulièrement marqué les esprits puisqu’il apparut que, finalement, le FLN triomphait bien que l’armée française ait réussi, finalement, à maitriser la rébellion. Il en résultat que le système d’enseignement du nouvel État algérien entreprit d’enseigner aux jeunes générations que l’armée française avait été vaincue par les katibas de l’
ALN, en ne négligeant pas, au passage, d’accuser les unités d’élite de l’armée française d’avoir pratiqué la « torture » en Algérie. D’où cette arrogance, et cette volonté de ne pas s’intégrer, que l’on constate très souvent chez ces fils d’immigrés algériens qui vivent dans les banlieues de nos villes.
Les blessures d’amour propre, du côté musulman :
Les musulmans ont un ressenti, vis-à-vis de Occidentaux, qui relève de ce que l’on pourrait appeler des « blessures d’amour propre ».
Ferydoun Hoveyda, un Iranien élevé au Liban qui a représenté son pays à l’Onu pendant plusieurs années, nous dit dans son ouvrage « Que veulent les Arabes » paru en 2004 : « Ils veulent sinon la disparition totale de l’Occident, du moins son humiliation ». Et il ajoute, un peu plus loin : « Pourquoi cacher cette haine de l’ infidèle qui bouillonne en terre d’islam ? ». Depuis la Renaissance, la civilisation occidentale a, en effet, pris le dessus sur la civilisation musulmane, et elle a triomphé dans le monde par ses avancées scientifiques fulgurantes et par la vigueur de ses penseurs. Tous les historiens nous disent que, avant la Renaissance, et notamment aux 11ème et 12ème siècles, la civilisation musulmane s’est trouvée en avance sur la civilisation des chrétiens. En Espagne, un califat rival de celui de Bagdad avait été proclamé en 929 par Abd al Rahman III, et l’Andalousie musulmane était devenue un très brillant centre de savoir. On cite à cet égard l’émir Abd al Rahman II qui avait plus de 400.000 volumes dans ses bibliothèques. La civilisation musulmane était également tés florissante en Perse grâce notamment aux Syriens et aux Mésopotamiens chrétiens qui avaient traduit en arabe tous les philosophes grecs. La science arabo-musulmane avait ainsi atteint des sommets, avec des penseurs comme Avicenne (980-1037), Averroès (1.126-1198) et al Farabi. A Bagdad, les Mutazilites avaient obtenu gain de cause auprès du calife en introduisant la raison dans la lecture du Coran, allant même jusqu’à décréter que le Coran n’était pas « incréé ».Ils se trouvèrent âprement combattus par les musulmans traditionnalistes, et tout spécialement par le fameux Ibn Hanbal, en sorte que, finalement, au XIème siècle, sous la pression de al Ghazali le monde musulman mit un terme à cette percée qu’avaient réalisée les rationalistes. L’islam se ferma, alors, et ne se rouvrit plus jamais depuis.
Aussi, les luttes menées avec succès par les indépendantistes dans la seconde moitié du XXème siècle pour libérer leur pays du joug des puissances coloniales qui étaient venues imposer leur loi aux musulmans au siècle précédent ont elles une signification toute spéciale pour les musulmans: elles ont marqué le réveil de l’islam et elles attestent de la possibilité que possède le monde islamique de prendre en quelque sorte sa revanche sur les Occidentaux. Et les réserves pétrolières colossales dont disposent les pays musulmans apparaissent aux musulmans comme un indéniable signe de soutien apporté par Allah à son peuple.
Il faut donc comprendre que les musulmans qui viennent s’installer, aujourd’hui, en Europe portent , à des degrés divers certes, dans leur inconscient collectif, le souvenir des rapports conflictuels qui ont émaillé au cours des siècles l’histoire des relations entre le monde de l’islam et celui des « chrétiens », le terme de chrétiens convenant parfaitement, ici, dans la mesure où certains musulmans au Moyen Orient utilisent encore le mot de « Croisés » pour désigner les Occidentaux. Les communautés musulmanes qui s’installent en Europe tiennent à conserver leur identité : elles en sont fières, et d’ailleurs notre adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme nous interdit de leur demander d’y renoncer. L’assimilation à la mode républicaine française apparait ainsi comme une entreprise vouée à l’échec, car l’assimilation implique chez un nouvel arrivant un changement de son identité pour adopter celle du pays hôte. On comprend, avec les rappels que nous avons fait brièvement plus haut, les raisons pour lesquelles la grande majorité des musulmans venus vivre dans nos pays européens tiennent à conserver leur identité, ne voulant en aucune manière l’échanger contre la nôtre, d’autant que notre civilisation leur apparait matérialiste, et permissive à l’excès sur le plan des mœurs.
Les réformateurs qui tentent de faire naitre dans notre pays un « islam de France » ont un immense chantier devant eux : quand bien même un islam reformé compatible avec nos mœurs et nos pratiques démocratiques pourrait parvenir à s’imposer, un jour, dans notre pays, les musulmans français n’en conserveront pas moins leur identité, car la religion ne constitue que l’une seulement des composantes de celle-ci.
Claude Sicard
Auteur de
« Le face à face islam chrétienté : quel destin pour l’Europe ? »,
et
« L’islam au risque de la démocratie » (Éditions François Xavier de Guibert).
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Robot Bastiat
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