Une religion sûre d’elle et dominatrice.

Une religion sûre d’elle et dominatrice Une actualité dramatique a dissipé, au cours des derniers mois, les illusions longtemps entretenues, à grand renfort de tintamarre médiatique, quant aux bienfaits du « vivre ensemble » et quant à la capacité de la religion musulmane, « d’amour et de paix » selon les incantations convenues, à s’insérer dans le paysage européen. Les attentats des années 1990 pouvaient être interprétés comme une importation ponctuelle de la guerre civile algérienne mais ceux de Londres et de Madrid, suivis en 2015 par les carnages perpétrés à Paris, ne laissent plus aucun doute quant aux intentions de leurs auteurs et de leurs commanditaires. Ils s’inscrivent dans un projet de conquête qui s’appuie sur le dynamisme démographique des sociétés musulmanes, sur le prosélytisme mis en œuvre par les monarchies de la péninsule arabique et sur l’aveuglement des « élites » occidentales acquises au « grand remplacement » annoncé par l’écrivain Renaud Camus. Au moment où les peuples européens s’insurgent dans les urnes et dans les sondages d’opinion contre cette dérive mortifère, il est nécessaire de se tourner vers l’histoire pour rappeler ce qu’ont été, depuis près de quatorze siècles, les conditions de la coexistence entre les fidèles du Prophète et tous ceux qui sont demeurés étrangers à la communauté des Croyants. Une démarche d’autant plus nécessaire que l’on a pu constater la mise en place au cours des dernières décennies, d’une histoire largement fantasmée, d’un récit irénique visant à convaincre les Européens des bienfaits d’une coexistence harmonieuse entre les religions, du modèle de « tolérance » qu’ont constitué à diverses époques sur leur sol les sociétés musulmanes qui s’y sont installées. Le cas d’al-Andalus est de ce point de vue exemplaire. La reconquête chrétienne, qui a donné naissance à l’Espagne moderne, fut perçue au cours des siècles qui la suivirent comme une geste épique constitutive de l’identité hispanique. Elle se trouve aujourd’hui remise en question au profit d’une lecture repentante visant à légitimer la société multiculturelle en cours de construction, dans laquelle certains veulent voir le devenir inéluctable de la vieille Europe, heureux laboratoire d’une mondialisation oublieuse du passé et incompatible avec le maintien de ses identités nationales et civilisationnelle. Les meilleurs spécialistes de la question ont depuis longtemps mis en lumière les limites de ces lubies, mais le mythe a la vie dure. Les contributions à ce numéro de Serafin Fanjul et de Rafael Sanchez Saus ont le mérite de mettre les choses au point. Au cours des années 1990, la guerre de Bosnie fut l’occasion pour certains d’exalter les vertus passées de la « Sarajevo multiculturelle ». C’était oublier les cinq siècles au cours desquels les peuples chrétiens des Balkans connurent le joug ottoman et subirent l’humiliant statut de dhimmis, à l’époque où le sultan turc « récoltait » les jeunes garçons serbes, albanais ou bulgares pour en faire des musulmans et les enrôler dans le corps des janissaires. C’était oublier la longue litanie des massacres et des sacrifices subis par les peuples balkaniques pour échapper enfin à une domination fondée sur la terreur qu’inspirait le « Grand Saigneur » stanbouliote. Les derniers événements survenus au Proche-Orient par la grâce d’interventions américaines, aussi catastrophiques qu’illégitimes, ont attiré l’attention sur le sort des minorités chrétiennes installées sur place depuis les premiers siècles de notre ère, bien avant que n’intervienne la conquête musulmane. Le génocide arménien et les massacres des Assyro-Chaldéens perpétrés durant la Première Guerre mondiale furent la mise en œuvre d’une volonté d’éradication totale : que reste-t-il des 20 % des chrétiens présents dans l’Empire ottoman à la veille de la Première Guerre mondiale ? La destruction ou le saccage des édifices de culte, les crimes de masse des hommes au drapeau noir de Daech en disent long aujourd’hui sur l’avenir qui attend les minorités dans l’espace musulman tel que le conçoivent le wahhabisme saoudien et le nouveau sultan turc, attaché à son projet théocratique néo-ottoman. C’est aux chrétiens d’Orient menacés que nous pensons principalement en proposant à nos lecteurs ce numéro hors-série. Mais les Européens auraient tort de penser que la tragédie en cours demeurera limitée à cet espace géographique. Plus que jamais, le recours à l’histoire doit contribuer aux prises de conscience nécessaires. Philippe Conrad Éditorial de Philippe Conrad paru dans le hors série numéro 12 (juin-juillet 2016) de La Nouvelle Revue d’Histoire



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