Masque et liberté

 

Masque et liberté

Faire face: le visage de la crise sanitaire

  Par Martin Steffens et Pierre Dulau

La mesure du port obligatoire du masque constitue une mutilation de la présence humaine. D’abord, il nie la personne dans sa singularité. Aux traits uniques des tissus de sa chair, il substitue la monochromie de tissus synthétiques. Ensuite il nie que nous soyons des êtres par essence relationnels. Dans le vis-à-vis qui me lie à autrui, mon visage est en effet la seule partie de mon corps que l’autre voit et que je ne vois pas. Nous pouvons regarder ensemble mes mains, mes jambes, mais non pas mon visage. Mon visage, quand il est découvert, est aussitôt ouvert au regard d'autrui, offert à sa prévenance, exposé au risque de la relation. Nous « avons » un visage, mais c’est pour le perdre et que, à la faveur d’une rencontre, parfois dans un simple sourire, il nous soit restitué. Nous « sommes » notre visage puisqu’il nous singularise, mais cela n’est jamais plus vrai que dans un commun envisagement. De la plus douce des manières, le visage humain dit ainsi l’incapacité où nous sommes de nous suffire à nous-mêmes.

Au contraire, le masque obligatoire (ou, ce qui revient au même, le masque dont le port est suspendu à des conditions qui relèvent du chantage1) dépersonnalise et atomise. Masqués, notre vie s'arrête désormais où commence celle de l'autre. L’organe de la parole n’est plus que l’orifice d’où peuvent sortir des microbes. Jusqu’en plein air, nous sommes interdits d’entrer en relation, scrutant chez l’autre le faux pas qui le rapprocherait de nous. Nous assistons à la destruction du principe sur lequel se fonde notre civilisation et que, dans Faire face2, nous avons nommé : le Pacte de Visibilité Réciproque. Il y a peu, l’homme allait encore à la rencontre du monde, visage découvert, parce qu’il croyait (cette foi, ou ce pari, est au fondement de notre conception de la civilité) que chaque être est unique sans pourtant être enclos en lui-même, qu’il est libre sans être délié des autres, que les relations humaines spontanées qu’il tisse priment celles auxquelles le contraignent les institutions d’un État.

Le masque sanitaire matérialise notre renoncement collectif à la liberté. Il n’est pas affaire de prudence car, assorti à toute une batterie de précautions et de protocoles, il va jusqu’à nous soulager de l’exercice de cette vertu. Günther Anders parlait à ce titre de « décharge » (Entlastung), du « fait que l’on nous exonère, par la forme d'activité technique, de la plupart des choses et des plus importantes d'entre elles3 ». Visage masqué, pass sanitaire en poche, nous demandons à l'État de nous rendre les uns aux autres invisibles et intouchables. Nous comprenons maintenant que nos déconfinements successifs, jusqu’à celui qui promet la réouverture des restaurants, n’étaient que l’extension progressive du confinement à toutes les dimensions de notre vie.

Esclave, en grec, se dit « aprosopon », littéralement le « sans-visage ». Serons-nous ainsi collectivement ef-facés ? Soulagés de notre humanité-même ? La question est aujourd’hui de savoir s’il nous reste assez de vie pour aimer la liberté, et de liberté pour préférer, à la peur continuelle d'être contaminé, une vie vraiment humaine.

1 « Vaxxed or masked », proclamait récemment Joe Biden. L’académie nationale de médecine préconise sans ciller, dans un communiqué du 25 mai 2021, de mettre en place, au plus tôt, un passe sanitaire, afin de contraindre les Français à se faire vacciner et à vacciner leurs enfants.

2 P. Dulau, M. Steffens, Faire face. Le visage et la crise sanitaire, éditions Première Partie, coll. Point de Bascule, 2021.

3 G. Anders, Le Temps de la fin, Paris, l'Herne, 2007. p. 46 sq.

 

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