40 ans de déficits publics en France

Bonjour et d’abord merci pour votre invitation à m’exprimer ce soir devant les héritiers intellectuels de Frédéric Bastiat. Comme vous m’y avez convié, je commence par me présenter. J’ai d’abord travaillé pendant 15 ans au ministère des finances dans un service, la direction de la prévision, ensuite fusionnée avec la direction du trésor, qui était chargée de faire les prévisions économiques sur lesquelles sont construites les lois de finances mais aussi de réaliser des études économiques et de conseiller les ministres, leur cabinet et les autres services de Bercy sur les sujets de politique économique. J’y ai notamment été sous-directeur en charge des finances publiques. J’ai ensuite intégré la Cour des comptes à la fin des années 2000. J’y ai d’abord effectué des contrôles dans les secteurs des transports, de l’agriculture et de l’environnement avant d’être nommé responsable du rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques pendant huit ans. J’ai aussi été nommé membre du Haut Conseil des finances publiques lorsqu’il a été créé en 2013. Depuis début 2016, je suis en « disponibilité » (sorte de congé sans solde) pour présider l’association Finances Publiques et Economie qui a surtout un site Internet sur les finances publiques avec une « encyclopédie » d’une centaine de fiches régulièrement mises à jour et des billets hebdomadaires sur des sujets d’actualité.

Je vais vous présenter ce soir 40 ans de déficits publics en France à partir de quelques graphiques

Il faut d’abord préciser que, au niveau international et le plus souvent en France, le déficit et la dette publics ne sont pas seulement ceux de l’Etat mais le déficit (ou l’excédent dans d’autres pays, disons le solde) et la dette de l’ensemble des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale, c’est-à-dire l’Etat, les collectivités locales, les régimes de sécurité sociale ainsi que les établissements publics exerçant une activité non marchande et contrôlés par l’Etat ou par des collectivités locales. Comme un euro de déficit ou de dette n’a pas la même signification aujourd’hui et il y a 40 ans, en France et à Malte, les économistes rapportent les agrégats de finances publiques (déficit, dette, dépenses…) au montant du PIB de l’année et du pays, c’est-à-dire à la valeur de ce qui y est produit. Les comptes des administrations publiques n’ont jamais été équilibrés en France au cours de ces 40 ans. Ils l’ont presque été en 1980 mais pas tout-à-fait. Ils ont été excédentaires pour la dernière fois en 1974. Le déficit s’est fortement creusé pendant les périodes de récession (1993, 2009) ou de ralentissement du PIB (1981, 2002) sous l’effet de la baisse ou du ralentissement des recettes mais aussi de mesures de relance de l’activité. Ensuite, il a diminué parce que le retour de la croissance a accru les recettes et, plus secondairement, parce que des mesures de redressement ont été mises en œuvre, mais lentement et pas assez pour revenir à l’équilibre avant le retournement suivant de la conjoncture. La dette publique résulte de l’accumulation des déficits passés. Elle ne fait donc qu’augmenter en euros, mais le ratio dette / PIB dépend aussi de son dénominateur, le PIB. Ce ratio augmente donc plus vite lorsque la croissance du PIB est faible, et moins vite lorsqu’elle est plus forte, mais la tendance sur 40 ans est nettement croissante. La dette publique est passée de 21 % du PIB à la fin de 1978 à 98 % à la fin de 2018. Le déficit public est la différence entre les dépenses et les recettes des administrations publiques. Les dépenses, en pourcentage du PIB, étaient déjà sur une pente nettement croissante en 1978 et elles y sont restées jusqu’en 1985 où elles ont atteint 52 % du PIB. Ensuite, elles se sont inscrites sur une tendance toujours croissante mais plus faiblement, avec des fluctuations dues de nouveau aux évolutions du PIB et aux dépenses nouvelles ou aux économies, qui les a portées jusqu’à entre 56 et 57 % du PIB dans les années 2009-2018. Le taux de croissance des dépenses publiques en euros a nettement fléchi entre les années 2000 et les années 2010, mais le taux de croissance du PIB en euros a lui aussi diminué. Le rapport des dépenses au PIB n’a donc pas baissé. La croissance des dépenses publiques sur ces 40 années, en pourcentage du PIB, provient surtout des prestations sociales, plus particulièrement des retraites. Les recettes des administrations publiques comprennent les prélèvements obligatoires, impôts et cotisations sociales, et d’autres recettes comme les droits d’inscription dans les universités, les droits d’entrée dans les musées, les dividendes reçus par l’Etat des entreprises où il a une participation… qui sont des recettes publiques mais pas des prélèvements obligatoires. Le taux des prélèvements obligatoires, leur rapport au PIB, était, comme les dépenses publiques, sur une pente nettement croissante dans les années 1970 et jusque vers 1985 où il a atteint 42 %. De même, il s’est ensuite inscrit sur une pente plus faiblement croissante qui l’a conduit vers 45 % à partir de 2014, avec des fluctuations liées aux évolutions du PIB et aux mesures nouvelles de hausse et de baisse des impôts et cotisations sociales. Nous sommes actuellement dans une période de baisse mais il y en a déjà eu d’importantes dans le passé, par exemple au tournant des années 2000 avec des baisses de cotisations patronales liées au passage à 35 heures ou au début du quinquennat de N. Sarkozy. Mais, comme les dépenses publiques n’ont pas autant été réduites dans ces périodes, le déficit public s’est aggravé et il a fallu ensuite redresser les comptes publics par des hausses des impôts ou des cotisations sociales. Si l’histoire se répète, c’est ce qui arrivera bientôt. Au bout de ces 40 ans, nous avons en 2018 le troisième déficit public de l’Union européenne, à 2,5 % du PIB, à égalité avec l’Espagne. Plusieurs pays sont en excédent, notamment l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède. Nous sommes le premier pays de l’Union européenne et de l’OCDE pour les dépenses publiques, à 56 % du PIB en 2018 pour une moyenne de 45,6 % dans l’Union et 46,8 % dans la zone euro, l’Allemagne étant à 44 %. Les pays scandinaves avaient des dépenses publiques supérieures à 60 % du PIB jusque dans les années 1990, mais ils les ont tous fortement réduites pour passer les uns après les autres derrière la France. Nous sommes aussi le premier pays de l’Union européenne et de l’OCDE pour le taux des prélèvements obligatoires en 2018 (46,5 %). Les pays scandinaves étaient loin devant nous mais ils nous ont laissé cette première marche du podium. La Belgique et la Suède ne sont pas très loin de nous mais l’Allemagne a un taux de ses prélèvements obligatoires de seulement 40 %. Le graphique suivant est inquiétant pour l’avenir de la zone euro : il montre l’évolution des dettes publiques de la France et de l’Allemagne. En 1997, malgré le coût très élevé de la réunification, la dette allemande était quasiment égale à la dette française et elle l’est restée jusqu’à la fin des années 2000. Depuis, elles divergent complètement avec une dette française stabilisée juste au-dessous de 100 % du PIB et une dette allemande presque revenue sous le seuil prévu par le traité de Maastricht (60 % du PIB) à la fin de 2018. L’origine de ce grand écart se situe dans les années 2002-2007. Autour de l’an 2000, tous les pays de l’OCDE ont connu une forte croissance, les déficits publics ont mécaniquement diminué et la France et l’Allemagne ont cru bon de vider une illusoire « cagnotte budgétaire ». Lorsque la conjoncture s’est retournée en 2002, ces deux pays se sont retrouvés en « déficit excessif » au sens des règles budgétaires européennes (déficit supérieur à 3,0 % du PIB). Ils ont tous deux pris l’engagement de réduire leur déficit par des réformes structurelles. L’Allemagne de G. Schröder l’a fait mais pas la France de J. Chirac. L’Allemagne l’a payé à court terme, politiquement puisque les sociaux-démocrates ont ensuite été battus aux élections suivantes et économiquement parce que les mesures de redressement budgétaire prises ont eu un impact négatif sur l’activité entraînant même une récession. Mais dès 2007, à la veille de la crise, la croissance était fortement repartie et l’Allemagne avait des comptes excédentaires alors que le déficit français était encore proche de 3 % du PIB. L’impact sur la dette allemande a été décalé car la crise financière a obligé l’Etat fédéral et les länder à s’endetter pour prêter à des banques en difficulté. Ces prêts ont été remboursés à partir de 2011 et la dette allemande a pu alors diminuer rapidement.

La leçon :

Une première leçon peut en être tirée sur l’origine de ces 40 ans de déficit en France. Une réduction du déficit public, qu’elle passe par une baisse des dépenses ou une hausse des impôts, a des effets négatifs à court terme sur l’activité économique, plus particulièrement sur les ménages et entreprises directement touchés par les mesures de redressement. Mais ces effets négatifs disparaissent à moyen terme et l’amélioration des comptes publics permet d’avoir beaucoup plus de marges de manœuvre pour affronter la crise suivante. La persistance des déficits publics en France résulte d’une priorité donnée au court terme par les économistes keynésiens, nombreux dans notre pays, et par les responsables politiques, dont l’horizon est limité aux prochaines échéances électorales. Elle résulte également de notre incapacité, contrairement à beaucoup d’autres pays, à réduire nos dépenses publiques. Celle-ci tient largement à notre propension collective à tout attendre, notamment toujours plus de services publics et de prestations sociales, d’un Etat qui est « la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde » pour citer Frédéric Bastiat. Il est vrai que chaque euro de dépense publique va dans les poches d’un ménage ou d’une entreprise et qu’il n’est jamais facile de le lui retirer. Le tableau suivant permet de saisir cette difficulté. Il compare les dépenses publiques en France, en Allemagne, dans la zone euro et l’Union européenne en les ventilant par fonctions (défense, santé, éducation…). La principale différence entre la France et les autres pays européens tient dans le poids des retraites publiques. Cela résulte de modèles institutionnels différents (les régimes de retraite sont plus souvent facultatifs, au moins au niveau de la branche, dans les autres pays) mais aussi du fait que nous passons plus d’années en retraite avec des pensions plus généreuses. Des écarts importants peuvent également être notés s’agissant des autres dépenses sociales, du logement, de l’enseignement, de la défense, des loisirs et de la culture ou encore des « affaires économiques ». Ce dernier poste regroupe les aides aux entreprises (à la recherche, à l’agriculture, aux entreprises de transport…), y compris celles qui prennent la forme d’un crédit d’impôt (économiquement équivalent à une subvention). Il intègre donc le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) dont la suppression contribuera à réduire le poids de ce poste d’environ 1,0 point de PIB. Le poste « services généraux » rassemble les dépenses consacrées aux principales Institutions de la République (Présidence, Assemblées, Premier ministre…) et à certaines administrations parmi les plus régaliennes (ambassades, préfectures, collecte des impôts…). Contrairement à ce que croient beaucoup de Français, son coût n’est pas significativement plus élevé que dans la moyenne des autres pays européens. Il est regrettable que les Français imaginent souvent que, pour faire des économies substantielles sur les dépenses publiques, il suffirait de réduire celles de la Présidence et du Parlement alors qu’elles ne représentent même pas un millième du total des dépenses publiques. On peut aussi noter que les deux seuls postes dont le poids en France est inférieur aux moyennes européennes sont les postes « sécurité intérieure et justice » et « intérêts de la dette publique ». S’agissant de ceux-ci, nous avons certes une dette publique supérieure aux moyennes de la zone euro ou de l’Union européenne mais nous bénéficions de taux d’intérêt plus bas, les moyennes européennes étant fortement tirées vers le haut par les taux des dettes italiennes, espagnoles…

Pour conclure:40 ans de déficits publics

Cette dernière observation me conduit pour conclure à un sujet d’actualité. Compte-tenu de la faiblesse persistance des taux d’intérêt, les appels à un relâchement des contraintes budgétaires sont de plus en plus pressants. Mais il ne faut pas oublier que, en France, l’Etat rembourse ses dettes en réempruntant simultanément le même montant. Il emprunte en moyenne sur 8 ans et aucun économiste ne peut garantir que les taux d’intérêt seront aussi faibles dans 8 ans quand il faudra réemprunter pour rembourser les emprunts actuels. Si les taux d’intérêt remontent et redeviennent supérieurs au taux de croissance de l’activité économique, la dette publique pourrait croître mécaniquement sous le seul effet de l’accumulation des charges d’intérêt si aucune mesure de redressement n’est prise. Les créanciers risquent alors de s’inquiéter, d’exiger des taux d’intérêts plus élevés pour continuer à prêter, ce qui accroîtrait le déficit et l’endettement et finirait par déclencher une crise. Les marchés financiers considèrent aujourd’hui que la dette publique française est quasiment aussi sûre que la dette allemande parce que les institutions de la zone euro, notamment la banque centrale, interviendront toujours pour empêcher une telle crise. Il serait néanmoins peu prudent de prendre pour principe que cette situation durera éternellement, notamment parce que la divergence des politiques publiques des pays du nord et du sud de l’Europe, reflétée par l’écart grandissant entre leurs dettes publiques, pourrait fragiliser la cohésion de la zone euro. Dans ces conditions, une sage application du principe de précaution aux finances publiques devrait nous conduire à réduire la dette publique, donc à diminuer durablement le déficit public. Je vous remercie de votre attention.   François ECALLE Président de FIPECO 40 ans de déficits publics

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François Ecalle



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