Libéralisme et ascenseur social

Libéralisme et ascenseur social

Thierry Foucart

L’ascenseur social est le mécanisme qui permet aux enfants des classes populaires d’accéder à des classes plus favorisées. Les analyses concluent toutes qu’il est actuellement en panne, mais son fonctionnement est souvent mal compris1.

L’OCDE a comparé la situation en France à celles de quinze pays2. Les foyers sont classés dans l’ordre croissant de leurs revenus : le premier décile regroupe les 10 % foyers dont les revenus sont les plus faibles, et ainsi de suite jusqu’au dixième décile, constitué donc des 10 % foyers dont les revenus sont les plus élevés.

Un calcul complexe montre qu’il faudrait en France six générations à un fils dont le père est dans le premier décile de revenus pour accéder au cinquième. La mesure, étrange, la classe avec l’Allemagne à l’avant-dernière place des pays comparables, les quatre premières étant occupées par le Danemark, la Norvège, la Finlande et la Suède, et la dernière par la Hongrie. Les autres analyses de l’OCDE3, plus classiques, confirment la mauvaise performance de la France.

Ces études n’ont porté que sur les fils et les pères, pour éviter la confusion entre les inégalités intergénérationnelles et les inégalités sexuelles. La forte influence des mères sur l’éducation des enfants et donc sur leur avenir professionnel est évoquée. La promotion sociale des filles n’est pas évaluée, pourtant, elles réussissent mieux leurs études que les garçons.

L’INSEE4 suit une autre démarche. Les auteurs comparent la position sociale des jeunes de 23-32 ans en 2012 à celle de leurs pères dans la région Île-de-France, et constatent que « la catégorie socio-professionnelle des jeunes franciliens et y ayant passé une partie de leur adolescence est nettement plus élevée que celle de leurs parents ». L’ascenseur emmène les jeunes des classes populaires un ou deux étages au-dessus. L’accès au dernier – les cadres – est plus difficile (9 % des fils d’ouvriers).

Dans toutes les analyses que j’ai consultées, l’évaluation de l’ascenseur social est fondée uniquement sur la montée. Pourtant, un ascenseur fonctionne dans les deux sens : toute montée vers un décile supérieur, par exemple du premier décile de revenu au dixième, est associée à une descente de la catégorie atteinte vers le décile quitté. Dans une répartition stable en classes sociales, l’effet est le même. Regretter simultanément, comme on l’entend souvent, que peu d’enfants d’ouvriers parviennent à la position cadre et que les enfants de cadres aient des difficultés à conserver le même statut que leur père à diplôme égal est donc contradictoire.

Le changement qualitatif des emplois est à l’origine de l’évolution rapide des pays occidentaux entre 1945 et 1975, et plus lente actuellement. En 1950, la classe ouvrière et les exploitants agricoles représentaient 95 % de la population active, 32 % en 1990. La proportion d’ouvriers est passée de 30 % en 1982 à 20 % en 2020, celle des exploitants agricoles de 7,5 % à 1,5 %, celle des cadres de 7,5 %, à 20 %. Cette évolution est due à la création d’emplois plus qualifiés par les entreprises à la suite des progrès économiques et techniques pendant les trente glorieuses (mécanisation de l’agriculture, développement industriel), de la désindustrialisation au profit des services (banques, assurances, santé…) et de l’essor des nouvelles technologies (informatisation, e-commerce).

La mixité sociale est considérée comme le moyen de promouvoir les enfants de catégories défavorisées, de faciliter l’intégration des populations immigrées et d’éviter des dérives obscurantistes. L’obligation scolaire a été fixée récemment à partir de trois ans. L’objectif est louable, mais elle n’est utile qu’aux enfants des familles mal intégrées. Il aurait été plus judicieux de limiter l’obligation à ces dernières, les enfants non scolarisés dans les autres familles étant peu nombreux si l’école maternelle est accessible.

Postel-Vinay pose la question suivante en 2008 : « formulée brutalement, la question posée au législateur est de savoir comment défavoriser (relativement) les enfants d’enseignants et les enfants de riches » qui réussissent souvent mieux que les autres. Classer les enfants d’enseignants avec ceux des « riches » montre que la réussite n’est pas liée à l’argent. Pourtant, il propose de « permettre aux enfants des quartiers pauvres d’accéder aux écoles où vont les enfants des quartiers riches »5.

Les élèves de CM2 sont affectés dans les collèges par l’administration en fonction de leur profil socio-culturel pour assurer la mixité sociale et l’égalité des chances. L’argument est que la présence de « bons » élèves dans une classe relève le niveau général. Cette mesure est inefficace et très contestable. Elle pénalise les « bons » élèves au profit illusoire de ceux qui sont en difficulté sociale ou souffrent d’un déficit mental. Tout élève, bon ou mauvais, mérite un enseignement adapté à sa situation.

Les inscriptions des collégiens dans les lycées suivent cette même règle. Le cas des lycées « élitistes » (Henri IV par exemple à Paris) en montre clairement les conséquences. Ce n’est pas le bac qu’on y prépare, mais l’entrée dans les classes préparatoires aux grandes écoles. Les collégiens affectés administrativement à un lycée élitiste risquent de souffrir du niveau très élevé des autres élèves et de ne pas supporter le régime de travail imposé. Inversement, ceux qui en ont été écartés pour assurer la mixité sociale dans un autre établissement ne bénéficient pas de la même dynamique et sont défavorisés par rapport aux autres.

Pourquoi interdire une sélection d’élèves suivant des critères de travail et de réussite qui a donné tous les médaillés Fields et beaucoup de prix Nobel français, et pratiquer une sélection pour former des champions sportifs suivant leurs aptitudes physiques ? L’origine sociale et ethnique n’est prise en compte ni dans un cas, ni dans l’autre, mais la première est considérée comme une discrimination sociale à l’inverse de la seconde qui pourrait être qualifiée d’ethnique.

L’égalité des chances est un objectif qu’on ne peut qu’approcher, en offrant à chaque élève l’enseignement qui lui convient, c’est-à-dire en compensant au mieux les lacunes inévitables de l’éducation parentale en fonction de ses choix et de ses aptitudes. Montrer à un élève de milieu modeste qu’il peut intégrer une grande école, et inversement à un élève fils d’ingénieur que ce n’est pas un échec de devenir menuisier fait partie du rôle des enseignants qui les connaissent. L’éducation familiale présente toujours des déficits. Le rôle de l’éducation scolaire est de les compenser autant que possible. C’est cet objectif qu’il faut confier aux enseignants, et la mobilité sociale est le résultat de cette éducation. On n’impose pas un résultat.

  Lire aussi : "Bastiat 2022 : idées libres de droits " " Faut-il libérer l'école de l’État "    

1 Ce texte est un condensé d’un article en cours de publication dans la revue Commentaire.

2 https://www.oecd.org/france/social-mobility-2018-FRA-EN.pdf

3 Laurence Boone, Antoine Goujard, « France, les inégalités et l’ascenseur social », Futuribles, n°433, 2019, p. 5 à 17.

4 Thomas Poncelet, Lauren Trigano, Mariette Sagot, « Gravir l’échelle sociale est plus aisé en Ile de France qu’en province », note de l’INSEE Ile de France n° 50, décembre 2016.

5 Olivier Postel-Vinay, « Un art français : faire dérailler l’ascenseur social dès le lycée », Après-demain, n° 7, Août 2008, p. 24 à 26. Je n’ai pas trouvé le rapport du Sénat cité.


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